Page 11 - Prologue
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La jeune fille inspira bruyamment en fermant les yeux. C’était
une somme colossale ! Comment son père avait pu perdre autant
en une seule soirée ? C’était impossible !
— Il a été très imprudent et l’alcool n’arrange pas les choses dans
ces cas-là, ironisa-t-il.
Les jambes soudain faites de coton, la jeune fille se laissa choir
sur le canapé, les mains crispées sur ses genoux, le regard perdu sur
l'élégant tapis au sol. Son cerveau tentait, tant bien que mal,
d’échafauder une solution, n’importe laquelle, pourvu qu'elle lui
permette de se sortir de ce traquenard. Leur famille avait certes des
amis, mais elle doutait que la fierté de son père ne survive à un
appel à l’aide.
— Comme je suis un homme sympathique et conciliant, je lui ai
permis d’échanger ses dettes contre autre chose.
— Ma main…
— C’est cela, oui.
— Mais enfin, pourquoi moi ?
Lord Grant haussa les épaules.
— J’ai besoin d’une épouse, jolie et issue de la noblesse.
— Je vous suggère de faire l’effort de chercher ailleurs. Je suis
certaine que d’autres jeunes filles seraient absolument ravies de
vous épouser.
— Pourquoi chercher ce qui se trouve sous mon nez ? De plus, j’ai
de l’ambition pour la famille Grant, et votre père prendra les
dispositions nécessaires pour que notre futur fils hérite du duché.
À la simple évocation d’un quelconque acte physique entre cet
homme qui pourrait presque être son grand-père et elle, Eleanor
faillit rendre son déjeuner sur le tapis. Telle Cassandre, la jeune fille
prophétisa dans un sifflement.
— Je ne vous donnerai aucun enfant, Lord Grant, soyez-en assuré.
— C'est ce que nous verrons, Lady Eleanor. Nous tenterons
néanmoins, déclara-t-il sur un ton moqueur.
— Que ferez-vous… si je refuse de vous épouser ?
— Eh bien, votre père devra me signer une reconnaissance de dette
et tout ce qui vous appartient me reviendra. Sans parler de la honte
qui s’abattra sur vous. Tout espoir de vous marier un jour
s’envolera, comme la poussière dans le vent.