Page 86 - ANGOISSE
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- Je te suggère de ne pas tenir ce genre de propos en public.
        - Qu’est-ce que j’en ai à foutre. La Police va m’arrêter peut-être ? Ils ne sont
        déjà pas foutus d’arrêter ces putains de terroristes.
        - Tu t’exprimes sous le coup de la colère. Nous devons plutôt nous préoccuper
        de savoir ce qu’il nous reste à faire pour tenter de sauver au moins un peu les
        meubles.
        - Que crois-tu qu’il y ait encore à sauver ? Sur nos huit cents salariés, quasiment
        la moitié sont hospitalisés et on ne connaît même pas leur sort bien qu’il ne
        faille pas être grand devin pour se douter que certains d’entre eux sont sans
        doute décédés. Les autorités ne nous ont pas réquisitionné la presque totalité
        de nos camions frigorifiques pour y entreposer des fraises je présume.
        - Bien entendu qu’il y a eu des décès aussi je te demande de faire preuve d’un
        peu  de  respect  et  d’humanité  à  l’égard  des  femmes  et  des  hommes  qui
        travaillent dans notre entreprise et qui font peut-être partie des victimes.
        - Tu préférerais que je ferme ma gueule ? En masquant la réalité.
        - Tu es là depuis à peine deux ans et tu viens d’un horizon géographique et
        professionnel différent du mien. La plupart des personnes qui travaillent dans
        l’entreprise sont issues de Pigastel ou de la région proche. Ce sont des gens
        que je connais, que j’ai parfois vu grandir ou pour les plus anciens avec lesquels
        je  me  suis  assis  sur  les  bancs  de  l’école.  Ce  ne  sont  pas  simplement  des
        matricules  sur  un  bulletin  de  salaire  mais  des  êtres  humains  que  l’on  doit
        respecter.
        - OK, fit Patrick. Je suis désolé de m’être emporté de cette manière. Mais essaie
        également de comprendre ma situation.
        - Qui n’est pas différente de la mienne si on excepte le fait que j’ai presque
        trente ans de plus que toi. Même si certains ont pu croire que je m’étais enrichi
        grâce  à  l’entreprise,  c’est  loin  d’être  le  cas.  Avec  la  diminution  depuis  des
        années  de  nos  marges  bénéficiaires  il  a  fallu  réinvestir  sans  arrêt  dans  de
        nouvelles  machines,  de  nouvelles  lignes  de  production  pour  gagner  en
        productivité.
        - Ah si ! Poursuivit-il avec une certaine amertume, nous sommes propriétaires
        avec ma femme des murs de cette usine. C’est-à-dire les heureux possesseurs
        de  plusieurs  milliers  de  mètres  carrés  de  bâtiments  industriels  qui  sont
        désormais invendables !

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