Page 252 - Les Misérables - Tome I - Fantine
P. 252
constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la
glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !
Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.
La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait
dans tout ceci.
Il demanda :
– Puis-je la voir ?
– Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la
sœur, osant à peine hasarder une question.
– Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.
– Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la
sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé
de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout
naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait
pas de mensonge à faire.
M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité
calme :
– Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.
La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait
un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en
baissant les yeux et la voix respectueusement :
– En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.
Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le
bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine,
s’approcha du lit et entrouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait
de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui
navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant
condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une
sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans
son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient
vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa
virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés.
Toute sa personne tremblait de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes
à s’entrouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait
pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade
presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui
va mourir.
La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne,
et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de
ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort
vont cueillir l’âme.
245