Page 253 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour
                  à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour
                  où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore
                  là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement
                  maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui
                  des cheveux blancs.
                     La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout, le
                  doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire
                  taire.
                     Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :
                     Et Cosette ?

                                                     II
                                          Fantine heureuse



                     Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ;
                  elle était la joie même. Cette simple question : – Et Cosette ? fut faite avec
                  une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète
                  d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :
                     – Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a
                  longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez
                  dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.
                     Il leva son regard vers le crucifix.
                     – Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir
                  pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?
                     Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler
                  plus tard.
                     Heureusement  le  médecin,  averti,  était  survenu.  Il  vint  en  aide  à
                  M. Madeleine.
                     – Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.
                     Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage.
                  Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière
                  peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :
                     – Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !
                     Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant
                  qu’on apporte.
                     – Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste
                  de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut
                  d’abord vous guérir.
                     Elle l’interrompit impétueusement.




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