Page 255 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous
                  vouliez.
                     Il lui prit la main : – Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la
                  verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis vous
                  sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.
                     En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine presque à chaque
                  mot.
                     Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques
                  plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit
                  à dire des paroles indifférentes.
                     – C’est assez joli, Montfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on va y faire des
                  parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas
                  grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-
                  là.
                     M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ;
                  il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa
                  pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur
                  Simplice était seule restée auprès d’eux.
                     Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :
                     – Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !
                     Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et
                  se mit à écouter avec ravissement.
                     Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une
                  ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et
                  qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des évènements
                  lugubres.  L’enfant,  c’était  une  petite  fille,  allait,  venait,  courait  pour  se
                  réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants
                  ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.
                     – Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !
                     L’enfant  s’éloigna  comme  il  était  venu,  la  voix  s’éteignit,  Fantine
                  écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine
                  l’entendit qui disait à voix basse : – Comme ce médecin est méchant de ne
                  pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !
                     Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à
                  elle-même, la tête sur l’oreiller : – Comme nous allons être heureuses ! Nous
                  aurons un petit jardin, d’abord ! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille
                  jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler.
                  Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera
                  sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?
                     Elle se mit à compter sur ses doigts.






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