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« surconsommateurs » de
produits animaux. Avec cette
approche, « Délicatessen » se veut
presque manichéenne, pour
mieux défendre la cause animale.
Ce réquisitoire contre l’hystérie
des mangeurs de viande, capables
de dévorer leur confrères
végétariens fait froid dans le dos,
et potentiellement réfléchir sur
les pratiques alimentaires qui sont
les nôtres. Ce film n’en reste pas
moins un « ovni » dans le paysage
cinématographique français.
immédiatement comme le l’univers ne cesse de devenir plus
meneur. Malin, le scénario étrange encore, avec ces
n’explicite pas immédiatement le personnages qui vivent dans les Un long-métrage à voir au moins
sort réservé au malheureux, égouts, des végétariens une fois, surtout si on a apprécié
même si la scène suivante, dans la considérés par la presse officielle « Le fabuleux destin d’Amélie
boucherie justement, donne déjà comme des terroristes. On ne sait Poulain », d’un autre genre certes,
pas exactement ce qu’ils veulent,
un indice. On découvre mais dont les similitudes de mise
mais ils ajoutent une touche de
progressivement l’étendue de en scène sont nombreuses avec
mystère dans cette œuvre de
l’horreur, on apprend que cet « Delicatessen ».
toute manière indéfinissable. On
univers de désolation a fait une Thomas Le Corre
ne peut même pas se raccrocher
croix sur les animaux : il n’y a plus
aux branches de l’histoire
du tout de viande à manger et d’amour, puisque celle-ci n’a pas
comme il n’y a pas non plus tellement de sérieux. Récompenses
d’argent qui circule, les graines
comestibles deviennent la Une seule question importe : Triomphe lors de la 17e Cérémonie des
nouvelle monnaie. Mais dans cet comment Louison va-t-il s’en César en 1992 avec pas moins de
immeuble, on mange de la sortir ? quatre récompenses ; l'originalité, la
viande : le boucher publie référence aux personnages de BD et
régulièrement une annonce pour A côté de ça, les personnages à l’avant-gardisme de l’œuvre y sont
embaucher un homme qui est l’écran semblent considérer que pour beaucoup.
rapidement transformé en steaks tout est parfaitement normal : César du meilleur premier film
et en rôtis. Jean-Claude Dreyfus incarne un
boucher un peu violent, mais le César du meilleur scénario
Toute la puissance de considère-t-on vraiment comme original ou adaptation
Delicatessen tient justement dans un cannibale ? César des meilleurs décors
cette prise de conscience César du meilleur montage
progressive : on ne comprend pas Et c’est là pour nous tout l’enjeu
tout de suite ce qui se passe, mais du film : sublimer l’hystérie des
quand on le réalise enfin, on est personnages dans un monde où
rien ne va plus, alors que le
pris par l’horreur de la situation.
spectateur peut facilement se
Les spectateurs savent très bien reconnaître dans certaines Un delicatessen, souvent
ce qui se prépare, ce qui crée un attitudes des personnages. abrégé en ‘’deli’’, est une
décalage pendant le film. On se L’œuvre est engagée pour le épicerie fine ou un restaurant-
végétarisme, présenté par traiteur, essentiellement dans
sent souvent mal à l’aise d’ailleurs
l’intermédiaire des « troglodistes les pays anglo-saxons. On sent
face à cette histoire, on attend
», chassés par les « viandards » de une pointe d’ironie de la part
une forme de normalité, mais elle
l’immeuble, qu’il faut voir comme des réalisateurs…
ne vient jamais. Bien au contraire,
la métaphore des
l’univers ne cesse de devenir plus
surconsommateurs » de produits
étrange encore, avec ces animaux. Avec cette approche, «
personnages qui vivent dans les Délicatessen » se veut presque
égouts, des végétariens manichéenne, pour mieux
considérés par la presse officielle défendre la cause animale. Ce