Page 393 - Christian Maas Full Book
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restituer l’essence à nos yeux éblouis, en retrouver la pureté première comme si cette virginité cachée
n’attendait que lui pour éclore. Mais longue est la route, il ne se sait pas encore artiste. Tout au plus a-t-il
le pressentiment d’une puissance qui le pousse tout enfant à s’accaparer le réel, à le cataloguer et à en
apprécier la beauté. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et, tout comme nul ne l’encourage lors des
vacances en Haute-Loire, nul ne comprendra ses premiers essais à la maison. Ainsi a-t-il créé un masque
(celui de Belphégore, feuilleton télévisé de l’époque qu’il va voir à travers la vitre d’une boutique TV au
coin de la rue, sans le son évidemment) avec des matériaux de récupération; sa mère jettera son travail
aux orties. Les promenades dominicales lui permettent aussi de récupérer les objets les plus hétéroclytes!
Ils finiront souvent à la poubelle car là encore sa mère veille et ne comprend pas à quoi pourraient bien
servir de telles “saletés”. Car à la maison, hygiène et propreté sont de mise, c’est dire s’il ne reste aucune
place pour le joyeux désordre auquel aspire tout enfant. Chaque chose est désespérement à sa place dans
le modeste appartement. Qu’importe, cette frustration deviendra une force, elle lui permettra, adulte, de
détourner les objets du quotidien pour les faire accéder au statut d’oeuvres d’art.
D’ailleurs n’a-t-il pas appris la patience dans sa plus tendre enfance? Des heures passées dans son
parc à attendre une mère occupée à servir les clients de l’hôtel, des heures fructueuses puisqu’elles lui
permettront d’apprendre presque seul à marcher. Aussi n’en est-il plus à une heure près ou plutôt si,
puisque le reste de sa vie lui semblera trop court pour rattraper le temps perdu. Ainsi s’expliquent en
partie sa continuelle fébrilité et sa tendance aux multiples! Et hop! une collection, puis une autre, une
autre encore et hop! une création, puis deux, puis trois, une femme, deux, trois mais cela est une autre
histoire…Quoiqu’il en soit avec la fin de l’enfance c’est un monde qui s’achève, avec la perte de son père
c’est un univers qui s’écroule. Le temps du bonheur semble si loin désormais. Les voila seuls, sa mère et
lui dans une vie hostile puisqu’il ne connaît presque personne. Il lui a fallu abandonner ses camarades
de l’école primaire, avec lesquels il jouait à qui serait le premier en classe pour découvrir seul le collège.
Christian Maas 402 CATALOGUE RAISONNÉ Vol. II
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