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Bulletin de la société archéologique Champenoise, t.??? - 2021 - n°? Le concept mésolithique.
est exposé en plein-air, visible de tous et de loin, il forces naturelles supérieures sont en effet d’une
communique à l’ensemble de la communauté à la extrême diffusion dès que la nature sauvage
fois. Il est remarquable que les arts des cavernes constitue le cadre de vie. Il s’agit d’un exercice
profondes aient été abandonnés, là où les rituels d’entrée en contact, mais pas d’une religion à
sacrés étaient accomplis durant le Paléolithique. proprement parler, celle-ci serait plutôt à ranger
Une fois encore, la relation à l’environnement ne parmi le vaste ensemble de l’animisme qui attribue
possède aucune signification : la chaleur et une âme à toute chose vivante et dont le rituel
l’humidité des temps postglaciaires n’ont jamais permet la reprise de contact, voire de contrôle : quoi
empêché de pénétrer au fond des grottes ! Seule une qu’il en soit ces vestiges sont à la fois régulièrement
nouvelle orientation religieuse peut dès lors le retrouvés et associés à des sépultures prestigieuses
justifier. (Donkalnis, Bogeakken, Zvejneki, Bad Dürrenber ;
Grünberg, 2016, p. 292). Ils attestent d’une des
Ce nouveau rapport à l’animal sauvage se formes de la métaphysique nouvelle.
manifeste de façon plus nette encore dans les
dépôts symboliques qui accompagnent les défunts
dans les sépultures, devenues très fréquentes et
organisées en véritables cimetières aux abords des
villages (Fig. 9). Elles y désignent ainsi la propriété
perpétuelle dont jouissent les habitants qui vivent
dans leur prolongement, rendu évident par le milieu
terrestre partagé. Les dépouilles concernent des bois
de cerfs ou des bucranes de bovidés, clairement
des défenses naturelles, mises au service du défunt
humain, ainsi armé contre toute force maléfique
sauvage. Cette intention de perpétuité est accentuée
par l’ensevelissement à l’intérieur même des
habitats comme pour en désigner la permanence
d’une génération à l’autre. Les défunts portent
des décors corporels semblables aux vivants et
sont ainsi replacés dans le contexte social d’où ils
proviennent. On y voit clairement l’aboutissement
de cette relation trouble issue du Paléolithique au
temps où la nature formait le cadre référentiel au
mysticisme et avant qu’elle finisse par devenir un Fig. 10 : Masque de chamane découvert et reconstitué en sépulture
accessoire, un attribut secondaire dès que l’homme (Bad Dürrenberg ; Meller et Maraszek, 2010 ; Grünberg et Gramsh,
2016). Les éléments d’origine animale (dents, cornes) dissimulent le
y impose sa personne avec sa domination. véritable visage et créent une interface avec le monde naturel, mise
en action lors de cérémonies. Le fondement mythique du Mésolithique
Parmi le mobilier funéraire, outre les décorations est resté animiste, mais c’est le personnage humain qui endosse le rôle
personnelles, se trouvent parfois des éléments de intermédiaire entre la société et le cosmos.
masques, destinés à être posés sur le visage et sur la La mise à l’écart de crânes humaines isolés, enterrés
tête : dents animales et ramures de cervidés. Ces ensemble, manifeste encore cette tendance à la
éléments ont aussi été retrouvés en dehors des domination spirituelle de l’humanité (Fig. 11). Le
contextes funéraires, et il ne fait guère de doute crâne est le double du défunt ; il en porte l’identité
qu’ils témoignent des pratiques chamaniques et l’incarne bien après le décès comme
propres au Paléolithique supérieur (Street, 1989 ; d’innombrables analogies ethnographiques le
Clottes et Lewis-Williams, 1996 ; Fig. 10). Les démontrent. La tête équivaut à l’esprit qu’elle a
rituels chamaniques qui cherchent à influencer les contenu, elle en prolonge la présence dans la
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