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RETOUR À L’ORIGINE
Je vais vendre le Tableau. Le seul que j’ai hérité de ma grand-
mère. Ce n’est pas rien… car je n’ai plus rien, je suis fauché.
Bientôt à la rue. Le mot rue me fait frissonner depuis quelque
temps. J’ai des pavés dans la tête et du goudron uriné sous
mon nez.
Je vais prendre le train. Ce train du matin à nuit affichée…
salle d’attente étriquée même avec une centaine de places
assises, ce lundi matin, cette longue attente avec des inconnus
sur le quai, un rocher perdu dans la nature de la ville, de ma
ville, de la ville de tout le monde et je ressens toute
l’amertume qui monte en moi comme une odeur nauséabonde
de souvenirs de ville bourgeoise…
Dans ma valise, le fameux Tableau. Enveloppé. Il n’est pas bien
grand. Il représente le portrait d’une femme. Ce n’est pas ma
grand-mère, c’est sa sœur. Une belle femme à la Sofia Loren
dans les années 60.
Ce matin il fait froid par ce vent bronchitique qui tousse par
rafales. Je me suis couvert des pieds à la tête avec mon
écharpe fétiche reçu des mains de ma troisième amantes (je
n’aime pas le mot maîtresse dans ce cas présent)… non
cinquième… en fait qu’importe, j’y tiens.
La lampe incandescente au-dessus de moi accouche d’ombres
difformes sorties de l’abdomen de ce quai. J’ai hâte d’un
nouveau ciel, le vrai celui qui traîne des nuages, draine des
formes en des scènes parfois fantasques…
Enfin le train arrive. Je monte dans le wagon, il y a foule,
cherche ma place, je suis dans le sens de la marche côté
couloir. Je préfère, sinon j’ai tendance à vomir ce qui dérange
les autres passagers. Ce voyage ne m’inspire pas. Depuis le
début j’ai un mauvais pressentiment. Mais comment faire
autrement. Je n’ai qu’un seul acheteur. J’ai à ma droite une
femme d’un certain âge. Elle me sourit tout le temps… C’est
presque inquiétant…
Je n’ose plus la regarder et pourtant son sourire s’imprime sur
ma nuque. Je ressens une légère électrisation, une vilenie à la
limite du supportable.