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SUIS HEUREUX

             Mon surnom est le « mouton de Panurge ». Les gens disent :
             « Tiens, voilà le mouton de Panurge ». Je n’en prends pas cas.
             J’aime les moutons, normal, je viens de la bergerie des Trois
             Moutons   au  Col   des   Frisés.   Et  depuis   que   je   suis   dans   ce
             village, ils m’appellent ainsi et je réponds bien volontiers.

             N’empêche que mon vrai nom est : Poliquet. Et j’aime bien.
             Mes   parents   d’adoption   sont   dans   les   bovidés,   c’est   mon
             grand-père   qui   est   dans   le   mouton   et   j’y   suis   resté   bien
             longtemps mais il est mort. Alors, comme personne ne voulait
             reprendre la bergerie et que moi je voulais, on m’a dit non. Il
             fallait que je sois é-man-ci-pé, émancipé (c’est dur à dire). Et
             j’ai posé question sur ce mot. On m’a répondu que j’étais à
             présent un affranchi et comme je comprenais pas le mot on
             m’a expliqué que j’étais libre. Libre ? Mais je l’ai toujours été.
             Ils sont un peu tarabiscotés dans le village.

             On m’a trouvé une place de commis dans l’auberge du Poil
             Mordant. Suis bien heureux, surtout qu’il paraît que suis pas
             vilain gars et que la Becoteuse blonde lavandière a bien voulu
             de  moi.  C’est là  que  le curé  m’a dit une  drôle de  phrase :
             « Alors,   tu   as   connu   le   coït,   garnement.   Attention   de   n’y
             prendre trop goût ». Je pense que le curé n’a pas bien compris
             que la Bécoteuse et moi nous étions bien ensemble et qu’à la
             prochaine ouverture de foire nous allons faire fiançailles.

             Suis bien heureux. Et le monde ici, aussi. Quoi de plus avoir
             quand tout est joliment mis même si parfois la Bécoteuse veut
             son « face-sitting » du dimanche après la messe. Je vous jure
             que   c’est  bien  pour  lui  faire  plaisir,   surtout  sous  ses  jupes
             j’étouffe à moitié à lui brouter le foin.

             Quoi qu’il en soit, nos futurs voisins et les alentours, va nous
             offrir un petit lopin de terre et avec pierres, mortier, bois et
             ardoises pour notre nid d’amour. Suis heureux comme diable…
             pourvue que la prochaine peste ne vienne pas m’emporter à
             mon bonheur.
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