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ENTRAILLES INDIGESTES
— « Faut pas mélanger les sexes. » Notre chef est contre la
féminisation de notre métier : égoutier. « Vous voyez dire une
égoutière ? » comme sage-femme pour sage-homme ? Mais
plus que cela c’est la particularité d’un milieu extrême.
Le chef n’a pas tort. C’est un homme bien et qui respecte tout
le monde et n’est pas à ressasser sans arrêt les mêmes choses.
Il dit une seule fois et c’est entendu.
— Aujourd’hui, on va nettoyer la galerie nord-est
correspondant à la rue des Bolets et ne snobons pas notre joie,
il y a peut-être de belles trouvailles comme la dernière fois…
Le chef a raison. Nous avons trouvé un bouton de manchette
de chez Dior. Après une traction de bon aloi dans le quartier
sud chinois, on nous a remis une somme rondelette que nous
avons partagé équitablement.
Bref, nous sommes prêts de prêts avec notre équipement et
nous descendons dans la première veine par la porte grillagée
dont l’accès est sur le Quai Montsouris. Mais le gag est qu’il y
a des trompes l’œil qui représentent exactement la même
grille six fois et parfois notre chef se trompe et nous rions de
bon cœur. Ici pas de moquerie intempestives. Nous sommes
beaucoup plus qu’une équipe. Nous sommes comme une
famille qui vit en coloc pour certains d’entre nous. Moi je suis
avec le chef…
— Messieurs, les entrailles de la ville nous attendent, faisons la
digérer de ses pestilentielles selles…
Le chef a toujours les mots pour nous donner du courage avec
ce brin d’humour et de philosophie que j’adore. Nous sommes
soudés et le premier qui prend la marche est sûr de notre
connexion, de notre éveil, prêts à tout et à faire sus à toutes
éventualités qui contrarierait notre progression, notre travail
mais surtout à la sauvegarde des uns et des autres.
— Nous sommes à présent dans le cœur de la galerie et j’ai
toujours cette impression d’être dans une des serres du Jardin
Botanique de la ville, à cet endroit par la moiteur, la lourdeur
de cette atmosphère…