Page 215 - test
P. 215
DÉNONCIATION INACHEVÉE
Je suis boutonnière pour « boutons bi-partis collés, sertis,
clipsés, avec inclusions, boucles ; boules ; anneaux ; bûches ;
embouts de cordon … » et suis mariée avec un boutonnier.
Rien de bien folichon dans notre vie.
Au début, il m’a possédé debout sous une porte cochère
« équipée de chasse-roues métalliques ». Je m’en suis
souvenue, parce que après avoir fait son affaire, il s’y est pris
le pied droit et a perdu l’équilibre comme une marionnette. J’ai
bien ri. Il a pris une semaine de lit de souffrance, le bas du dos
tout violet que c’était pas beau à voir.
Je me suis attachée a lui comme on s’attache à un animal de
compagnie agréable tout étant utile c’est-à-dire sans les
inconvénients. Je ne suis pas spécialement une beauté, lui pas
spécialement un Apollon avec ce caractère un peu niais et je
peux à loisir le commander, le houspiller, il ne dit rien, il sourit
très souvent béatement et rampe si je lui demande. Il n’a pas
une once d’antenne pour détecter la manipulation dont il est la
victime consentante par défaut.
Et puis l’engrossement. Le monde se fabrique de l’enfantement
inéluctablement comme une survie à contre-courant. Un, deux,
trois, quatre enfants, le tout dans le foin notre nuptial endroit
de prédilection pour s’ébattre entre la grange et la meule de
campagne. Je l’aime par défaut et de ses défauts.
Et puis, nous voilà dans l’âge de la vieillesse à la quarantaine…
à-peu-près. Ceux qui font l’histoire ne savent pas qu’ils font
l’histoire et notre histoire n’a pas tourneboulée le monde et
pourtant le mien va s’écrouler dans ce silence au-delà de mon
écriture qui fera témoignage et cela après le fromage et pain
de blé noir…
Il vient de m’empoisonner avec un bonbon qu’il a soi-disant
acheté au marché ce matin et qu’il m’a offert sourire tendre et
visage presque candide…
A mon écriture tremblante, je suis à vomir sur ma terre battue
et humide de tristesse et de douleurs. Me voilà toute
boutonneuse sur tout le corps, un comble pour moi…
vengeance de lui ? D’une rivale ? Je suis seule à ma table