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EMBARQUEMENT D’UN POSSÉDÉ

        Le   train   est   en   retard.   Normal.   Cette   normalité   me   faire
        regretter le temps d’une SNCF qui faisait du mot exactitude
        son   leitmotiv,   sa   raison   de   tenir   ses   engagements   ou   ses
        engagements : sa raison d’être.

        Bref, voilà le départ. Et il roule, il roule, il roule. Boggies à
        caresser les rails. Wagons wagonnant wagonne. Et puis, par un
        incident contraire aux bons usages, il s’arrête sur une voie
        dans le froid d’une campagne endormie d’hiver à seize heures
        vingt-cinq. Une campagne

        Je note l’heure sur mon mémo de portable. Heureusement qu’il
        me reste de la charge, je n’ai même pas un lampion en cas de
        panne, si la nuit survient. Et la nuit est vorace en cette saison.
        Elle se costume d’un blouson bien noir et se pantalonne de
        quelques étoiles bien timides dont les nuages capuchonnent
        par jeu leur lumière déjà fantomatique.

        Je suis seul dans ce wagon. C’est presque inquiétant. Quand,
        j’entends   ou   je   crois   entendre   un   son   pianissimo.   Je   me
        retourne sur mon siège, de droite, je me lève un peu, je me
        rassois.

        Horreur ! J’entrevois, là, sur la fenêtre, en hologramme une
        tête des mauvais jours, des yeux irradiés d’une méchanceté
        inédite, un genre matriarcal dix fois pire que la norme d’une
        certaine époque.

        Je crois l’instant propice à l’arrêt brutal du cœur. Je me mets à
        trembler   comme   un   feuille,   tellement   j’ai   peur.   Je   n’ose
        retourner la tête vers cette satanée vitre. J’ai les yeux d’un
        zigoto ahuri. Et voilà que mon corps ne me répond plus du
        tout. Je suis en… lévitation. Je… je… dans une confusion totale,
        en position assise à flotter dans le couloir du wagon.
        Je traverse à présent… la vitre. Je suis conscient et ne ressens
        plus   rien   comme…   mort.   La   nuit   m’enveloppe   dans   un
        brouillard campagnard et à peine si je distingue ma direction
        entre un champ floral et une forêt de pins. Et puis, là, en
        contre-bas, deux personnes qui m’observent.
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