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Qu'est-ce que le cinéma pour nous ?
Med Hondo (Abid Mohamed Medoun Hondo)
artout dans le monde, lorsqu'on utilise le terme Cinéma, on se réfère
P plus ou moins consciemment à un seul cinéma qui, depuis plus d'un
demi-siècle, est créé, produit, industrialisé, programmé, puis diffusé sur les
écrans du monde: le cinéma euro-américain.
Ce cinéma s'est progressivement imposé à un ensemble de peuples
dominés. N'ayant aucun moyen de protéger leurs propres cultures, ces peu-
ples ont été systématiquement envahis par des produits cinématographiques
divers, savamment articulés. Les idéologies de ces produits ne « représen-
tent » jamais leur personnalité, leur mode de vie collectif ou privé, leurs
codes culturels, et ne reflètent jamais, même minimalement, leur « art »
spécifique, leur façon de penser ou de communiquer, en un mot, leur propre
histoire et civilisation. Les images que ce cinéma propose excluent systé-
matiquement l'africain et l'arabe.
Il serait dangereux (et impossible) pour nous de rejeter ce cinéma
comme étant étranger; le mal est fait. Nous devons apprendre à le connaître
pour mieux l'analyser. Nous verrons que ce cinéma n'a jamais vraiment
concerné les peuples africains et arabes. Cela semble paradoxal, puisqu'il
remplit toutes les salles et domine les écrans de toutes les villes et villages
africains et arabes.
Mais les masses ont-elles d'autres choix ? « Consommer » au moins
un reflet de la vie et de l'histoire de son propre peuple, passé, présent et
futur ? Lawrence d'Arabie (de David Lean, 1962, Angleterre) diffuse une
image de Lawrence, pas des Arabes. L'Homme de Cocody (de Christian-
Jaque, 1965, France) a pour héros gentleman un Européen, et non un afri-
cain de Côté d'Ivoire. Avons-nous une seule image des expériences de nos
ancêtres et des héros de l'histoire africaine et arabe ? Avons-nous un seul
film montrant la nouvelle réalité de coopération, de communication, de sou-
tien et de solidarité entre africains et arabes ?
Cela peut sembler exagéré. Certains critiques diront qu'au moins
un pays africain, l'Égypte, produit chaque année des films relativement im-
portants et que depuis l'indépendance, un certain nombre de cinéastes se