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Un cinéma en lutte pour sa libération


             Férid Boughedir

                     Le cinéma africain à l'époque de l'Organisation de l'unité africaine
             (OUA): c'est en effet en 1963, que pour la première fois un film entièrement
             conçu et, produit par un africain fait son apparition sur la scène internatio-
             nale, est vu par un public payant, et reçoit un prix. C'est au Festival inter-
             national de Tours (France), que le film primé Borom Sarret d'Ousmane
             Sembène (1963, Sénégal) s'impose comme le premier film de grand talent
             réalisé par un Africain, ouvrant la voie à un cinéma de fiction qui se déve-
             loppera principalement dans les pays francophones du continent (leurs voi-
             sins  anglophones ou  lusophones  privilégiant, dans  l'ensemble,  le
             documentaire).

              L'anecdote de Borom Sarret est simple mais significative : un pauvre char-
             retier voit les outils de son métier confisqué par la police parce qu'il a osé
             franchir la frontière entre le Dakar des pauvres et le Dakar des riches. Le
             caractère émouvant de ce récit, la colère contenue de l'auteur face à celle
             des plus humbles, l'utilisation du monologue qui nous fait vivre intérieure-
             ment la détresse du charretier, et surtout une fin ouverte qui fait appel à
             l'humanité et à l'indignation du spectateur, ont fait de ce film un chef-d'œu-
             vre prématuré par lequel, d'emblée, le cinéma africain semblait donner le
             ton de ce qui allait devenir une de ses orientations majeures.

                     L'application de l'image et du son au service d'œuvres d'éveil per-
             met de prendre conscience des réalités d'une Afrique à peine sortie du co-
             lonialisme et vivant avec les contradictions d'une indépendance fraîchement
             acquise. Toutes les œuvres ultérieures d'Ousmane Sembène, autodidacte de
             la caméra - qui fut pêcheur, maçon, docker, puis écrivain avant de troquer
             la plume pour  la caméra «  pour parler même  aux  analphabètes  » ont
             confirmé la vocation du cinéma africain à être un « éveilleur des peuples »,
             en totale opposition avec le cinéma qui l'avait précédé sur le continent: ce
             cinéma occidental d' « évasion » que les producteurs africains accusaient
             de droguer littéralement le public africain avec ses produits dérivés et de
             lui inculquer les valeurs de la domination étrangère.
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