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                     Essentiellement,  Ahmad  accuse la  « théorie  postcoloniale  » de
             maintenir le paradigme colonial dans lequel l'Afrique (et l'Asie) sont consi-
             dérées comme l'objet d'actions occidentales plutôt que comme des partici-
             pants actifs dans  la  construction de leur  propre histoire.  En  tant que
             marxiste, Ahmad pense que c'est le fait de la « modernité capitaliste » et
             de ses implications pour les sociétés africaines et asiatiques qui lie leurs lit-
             tératures et leurs cultures. Tout en reconnaissant la valeur et le pouvoir du
             « postcolonialisme » en tant que catégorie, il prévient à juste titre que,
             lorsqu'il est appliqué de manière trop vague, il devient un simple jargon.

                     Cependant, c'est une simplification grossière que de dire que toute
             la  théorie  postcoloniale  est simplement obsédée par la  relation  entre
             l'Afrique et ses anciens maîtres coloniaux. En fait, la théorie postcoloniale
             a été très efficace pour forger des liens à travers le monde « périphérique »,
             anciennement colonisé, en contournant complètement les « centres » du
             pouvoir occidental. Cette création de liens le long de la périphérie met en
             lumière les structures du pouvoir dans le monde moderne  . Une telle dé-
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             marche est particulièrement bienvenue dans les études culturelles africaines:
             il n'est que trop courant que des films et des romans africains provenant de
             différentes parties du continent soient mis ensemble sous prétexte qu'ils ex-
             priment une forme d'identité africaine commune et authentique.

                     En revanche, le postcolonialisme explore les liens entre les cultures
             africaines à la lumière de leur histoire commune d'exploitation coloniale et
             de leur rébellion contre cette oppression (sans présumer que cette expé-
             rience commune est identique dans chaque État africain). Les trois films
             africains abordés dans cet article pourraient tous être analysés avec profit
             dans un cadre critique postcolonial qui cherche à explorer les forces cultu-
             relles et politiques dans un monde qui reste dominé par le capital occidental:
             l'examen de l'Afrique néocoloniale dans Xala et Touki Bouki est évident,
             mais on peut également affirmer que Yeelen, avec son désir de présenter
             une vision africaine de la modernité, remet en question les perceptions oc-
             cidentales du savoir en Afrique.
                     Comme Homi K. Bhabha l'a soutenu: « La critique postcoloniale
             témoigne des forces inégales et inégalitaires de la représentation culturelle
             impliquées dans la lutte pour l'autorité politique et sociale au sein de l'ordre
             mondial moderne  ».
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              Je pense que ce seul fait fait du postcolonial un terme critique extrêmement
             utile et stratégique dans l'analyse de la culture africaine contemporaine.
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