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David Murphy / Les Africains filment l’Afrique               393

                 Je crois que cette approche nous permet de développer une vision
          plus complexe du cinéma africain, en le considérant sous l'angle de sa ca-
          pacité à adapter et à modifier les codes cinématographiques établis dans le
          monde entier. Par conséquent, la catégorie de cinéma africain devrait être
          utilisée de manière descriptive plutôt que prescriptive: on ne peut pas forcer
          le cinéma d'un continent entier à adhérer à un programme préétabli.
                 Cela est encore plus vrai lorsque l'on tente de créer des catégories
          intercontinentales : par exemple, comme nous l'avons dit plus haut, la plu-
          part des théoriciens du « Troisième Cinéma » ont cherché à caractériser la
          production cinématographique de l'ensemble du tiers-monde, et pas seule-
          ment de l'Afrique, comme révolutionnaire et fondamentalement opposée à
          l'hégémonie occidentale, à la fois en termes de style et de contenu, une ca-
         ractérisation qui ne reflétait tout simplement pas la réalité (et qui simplifiait
          également de manière excessive la nature du cinéma occidental ).
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                 Je crois que la catégorie du postcolonial offre un meilleur cadre
         pour examiner la production cinématographique des pays qui étaient autre-
         fois des  colonies  des puissances  impériales occidentales. Comme  pour
         toutes les catégories et écoles, les critiques ne sont pas tout à fait d'accord
         sur la définition du « postcolonialisme ». En fait, on ne peut pas parler du
         postcolonialisme comme d'une entité unique, car il comprend des critiques
         travaillant à partir de perspectives critiques très différentes, des marxistes
         aux féministes en passant par le postcolonialisme. Essentiellement, le post-
         colonialisme applique ces différentes approches dans une exploration des
         liens entre les cultures qui ont connu la colonisation par l'une des puissances
         occidentales. Cependant, comme l'ont souligné de nombreux critiques, le
         postcolonialisme court le danger de considérer l'histoire entière d'une nation
         à travers le prisme de la rencontre coloniale, liant l'ancien colonisateur et
         l'ancien colonisé dans une étreinte permanente, bien que réticente. Ce qui
         a conduit un certain nombre de critiques à rejeter la théorie postcoloniale,
         affirmant qu'elle est nettement eurocentrique dans son approche, précisé-
         ment parce qu'elle privilégie l'ère coloniale. Aijaz Ahmad plaide en ce sens
         dans la citation suivante:
            En périodisant notre histoire dans les termes triadiques de précolonial, colonial
            et postcolonial, l'appareil conceptuel de la « critique postcoloniale » privilégie
            comme primaire le rôle du colonialisme comme principe de structuration de
            cette histoire, de sorte que tout ce qui est venu avant le colonialisme devient sa
            propre préhistoire et que tout ce qui vient après ne peut être vécu que comme
            un après infini. C'est peut-être ainsi que les choses se présentent à ceux qui re-
            gardent cette histoire de l'extérieur, en d'autres termes, ceux qui regardent les
            anciennes colonies d'Asie et d'Afrique de l'intérieur des pays capitalistes avan-
            cés, mais pas à ceux qui vivent à l'intérieur de cette histoire  .
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