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Malgré l'intrusion soudaine d'artefacts modernes et technologiques,
un lien visuel avec la scène rurale précédente demeure sous la forme d'un
crâne de bœuf fixé à l'avant de la moto de Mory. En fait, les cornes du crâne
agissent comme une sorte de cadre à travers lequel nous observons le pay-
sage urbain qui défile rapidement. En fait, Mambéty nous offre la vision
d'une Afrique où le monde « moderne » et technologique côtoie le monde
« traditionnel » et rural. Comme le dit l'un des personnages du film, Mory
ne sait pas s'il conduit un bœuf ou une moto. Il est le produit hybride de deux
cultures très différentes. La rencontre de l'Afrique et de l'occident a créé une
nouvelle réalité, parfois excitante et dynamique, parfois menaçante et destruc-
trice. A bien des égards, le cinéma de Mambéty lui-même est un exemple de
la diversité et de la richesse de cette nouvelle culture, tout en mettant en garde
contre ses dangers.
Mambéty rejette les considérations ouvertement politiques et so-
ciales de nombreux cinéastes africains des années 1970, dont Sembène. En
effet, dans une scène très significative au début du film, Mory est attaqué
par un groupe de jeunes intellectuels de gauche qui le méprisent pour son
style de vie apolitique et amoral. Cette scène peut être interprétée comme
un pied de nez de Mambéty à ceux qui voudraient qu'il présente un pro-
gramme politique dans ses films. De même, la figure du facteur qui erre
sans but dans le film semble être un clin d'œil à la figure du facteur dans le
film Mandabi de Sembène, qui est dépeint comme quelqu'un qui « délivre »
l'espoir sous la forme du message politique de solidarité sociale du film.
Ces éléments anti-politiques ne signifient pas que les films de Mambéty
ne sont pas politiques, mais simplement qu'il voit le monde principalement
en termes de culture plutôt que de politique.
Pour le spectateur occidental, les récits de Xala et Touki Bouki ré-
vèlent certains éléments reconnaissables. Xala s'inscrit largement dans un
cadre réaliste social, utilisant un certain nombre de dispositifs symboliques
brechtiens. On peut aussi facilement identifier l'influence d'un certain nom-
bre de films occidentaux expérimentaux sur Touki Bouki: on pourrait tout
d'abord mentionner Easy Rider (de Dennis Hopper, 1969, États-Unis) et
son récit psychédélique des aventures de deux motards drogués; on pourrait
aussi penser aux films de Nicholas Roeg, notamment Performance (1970,
Royaume-Uni), et à leur brouillage de l'identité, du lieu, du genre et du
temps.
Un certain nombre de critiques africains ont réagi avec colère au
catalogage des influences occidentales dans le cinéma africain. En fait, de
nombreux critiques ont soutenu de manière convaincante que le cinéma