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David Murphy / Les Africains filment l’Afrique               387

          deaux qui lui sont offerts en guise de dot. Le principal de ces cadeaux est
          la voiture. Lorsqu'El Hadji arrive à la maison de Ngoné pour consommer
          le mariage après avoir été temporairement guéri, il s'arrête pour embrasser
         le ruban de la voiture. Il croit qu'il va enfin pouvoir profiter de son nouveau
         bien, mais il est une fois de plus déçu, car cette fois Ngoné a ses règles.
         Dans le Xala, l'argent, la politique sexuelle, la culture islamique et l'ani-
         misme sont tous mélangés dans un mélange complexe de rituels et de sym-
         boles. Ce n'est pas l'influence occidentale que Sembène rejette (comme le
         suggèrent Barlet et Harrow) mais le capitalisme occidental.
                 Comme je l'ai déjà dit, l'opposition réductrice entre l'Afrique et l'Oc-
         cident ne fait que produire une opposition stérile entre les différentes influences
         culturelles qui sont si clairement présentes dans les films africains, et pas plus
         que dans l'œuvre de Mambéty. Dans Touki Bouki, Mambéty emprunte beau-
         coup aux films expérimentaux occidentaux, mais il crée ainsi quelque chose
         de radicalement différent, en adaptant ces modèles à sa propre culture. En fait,
         Touki Bouki peut être lu comme une exploration de la rencontre culturelle entre
         l'Occident et l'Afrique. Le film raconte l'histoire d'un jeune couple sénégalais,
         Mory et Anta, qui souhaite ardemment quitter Dakar, leur ville natale, pour
         rejoindre la terre promise française, où ils espèrent trouver l'argent qui leur
         permettra de revenir riches et célèbres dans leur pays.
                 Comme  nous  le voyons  dans  la séquence  d'ouverture  du film,
         Mambéty utilise un ensemble complexe d'images pour refléter cette attrac-
         tion contradictoire entre la France et l'Afrique. Il joue délibérément avec
         l'opposition binaire standard entre l'Afrique et l'occident. Dans un plan sta-
         tique à moyenne distance, nous voyons un petit garçon monté sur le dos
         d'un bœuf, qui avance lentement vers la caméra à travers la savane ouverte.
         Sur la bande sonore, on entend ce qui semble être un air africain « tradi-
         tionnel », joué sur un instrument à vent. Le spectateur est amené à s'attendre
         à un récit de l'Afrique rurale, peut-être même à un récit d'un passé simple,
         africain.  Cependant, à mesure que le garçon et la bête passent au premier
         plan, le bruit d'un moteur qui tourne à plein régime commence à rivaliser
         avec le son de la musique et finit par le dominer. L'image passe ensuite à
         un plan de Mory, le héros masculin de l'histoire, qui se déplace sur sa moto.
         Filmé depuis la position d'un passager par-dessus l'épaule de Mory, le plan
         transmet un sentiment de vitesse et d'exaltation bien éloigné de la paix et
         du calme des images rurales précédentes. Le temps et l'espace sont frag-
         mentés et le spectateur est ébranlé dans ses attentes initiales et plongé dans
         un récit de l'Afrique moderne, avec ses motos, ses autoroutes et ses ma-
         chines.
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