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384 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Comme l'a affirmé le critique Serge Daney, un certain type de cri-
tique occidental s'attendait vaguement à ce que le cinéma africain soit une
extravagance non intellectuelle, qui chante et danse tout le temps . Quelle
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place ces vues laissent-elles aux films d'Ousmane sembène et de Med
Hondo qui ont cherché à produire une critique radicale des sociétés afri-
caines indépendantes ? Le cinéma articulé et socialement engagé représenté
par ces réalisateurs était tout simplement trop « occidental » pour ces cri-
tiques.
Cependant, il y avait tout autant de critiques de gauche, tant afri-
cains qu'occidentaux, qui voyaient d'emblée ces films radicaux et engagés
dans la société. Le climat d'optimisme révolutionnaire qui a accompagné
le processus de décolonisation a vu naître la théorie de ce qui allait devenir
le « troisième cinéma », d'abord développée en Amérique du Sud et qui
mettait l'accent sur la fonction politique du cinéma . Les critiques qui ont
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défendu la théorie du « troisième cinéma » ont souligné que les films « au-
thentiques » du tiers monde devaient abandonner les structures et les préoc-
cupations thématiques du cinéma commercial occidental. Cet impératif
idéologique est clairement au cœur de l'œuvre de Sembène, qui a souvent
souligné la nécessité de s'éloigner des préoccupations du cinéma occidental
et, plus particulièrement, de ses images stéréotypées de l'Afrique. Pour au-
tant, cela signifie-t-il que l'œuvre de Sembène est « authentiquement » afri-
caine? Si elle est « authentiquement » africaine, doit-on alors considérer
que les films expérimentaux et oniriques de Djibril Diop Mambéty, qui
s'intéressent principalement aux questions culturelles, sont en quelque sorte
moins africains? Et que dire de la structure mythique de Yeelen de Souley-
mane Cissé ? Les débats sur la nature du cinéma africain ont trop souvent
été enfermés dans une opposition réductrice entre culture occidentale et cul-
ture africaine. Cet argument propose qu'un film africain « authentique » ne
doit pas seulement exclure tout ce qui est européen ou occidental, mais doit
aussi s'y opposer. Si nous suivons cet argument jusqu'à sa conclusion lo-
gique, alors tous les films africains sont « inauthentiques » ou « occiden-
taux » simplement parce que le cinéma a été inventé en occident.
Cependant, si nous supprimons cette stricte opposition entre l'occident et
le reste du monde, nous obtenons une bien meilleure vue de la manière dont
les différentes cultures interagissent et s'influencent mutuellement. L'in-
fluence culturelle n'est pas simplement une voie à sens unique, l'occident
influençant le reste du monde . L'Afrique et l'ccident ne sont pas des
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mondes mutuellement exclusifs qui possèdent leurs propres identités au-
thentiques et immuables: ce sont des entités hybrides qui s'influencent et