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                     Comme l'a affirmé le critique Serge Daney, un certain type de cri-
             tique occidental s'attendait vaguement à ce que le cinéma africain soit une
             extravagance non intellectuelle, qui chante et danse tout le temps  . Quelle
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             place ces vues laissent-elles aux films d'Ousmane sembène et de Med
             Hondo qui ont cherché à produire une critique radicale des sociétés afri-
             caines indépendantes ? Le cinéma articulé et socialement engagé représenté
             par ces réalisateurs était tout simplement trop « occidental » pour ces cri-
             tiques.

                     Cependant, il y avait tout autant de critiques de gauche, tant afri-
             cains qu'occidentaux, qui voyaient d'emblée ces films radicaux et engagés
             dans la société. Le climat d'optimisme révolutionnaire qui a accompagné
             le processus de décolonisation a vu naître la théorie de ce qui allait devenir
             le « troisième cinéma », d'abord développée en Amérique du Sud et qui
             mettait l'accent sur la fonction politique du cinéma  . Les critiques qui ont
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             défendu la théorie du « troisième cinéma » ont souligné que les films « au-
             thentiques » du tiers monde devaient abandonner les structures et les préoc-
             cupations thématiques du  cinéma commercial  occidental.  Cet  impératif
             idéologique est clairement au cœur de l'œuvre de Sembène, qui a souvent
             souligné la nécessité de s'éloigner des préoccupations du cinéma occidental
             et, plus particulièrement, de ses images stéréotypées de l'Afrique. Pour au-
             tant, cela signifie-t-il que l'œuvre de Sembène est « authentiquement » afri-
             caine? Si elle est « authentiquement » africaine, doit-on alors considérer
             que les films expérimentaux et oniriques de Djibril Diop Mambéty, qui
             s'intéressent principalement aux questions culturelles, sont en quelque sorte
             moins africains? Et que dire de la structure mythique de Yeelen de Souley-
             mane Cissé ? Les débats sur la nature du cinéma africain ont trop souvent
             été enfermés dans une opposition réductrice entre culture occidentale et cul-
             ture africaine. Cet argument propose qu'un film africain « authentique » ne
             doit pas seulement exclure tout ce qui est européen ou occidental, mais doit
             aussi s'y opposer. Si nous suivons cet argument jusqu'à sa conclusion lo-
             gique, alors tous les films africains sont « inauthentiques » ou « occiden-
             taux »  simplement parce que le cinéma  a  été  inventé  en occident.
             Cependant, si nous supprimons cette stricte opposition entre l'occident et
             le reste du monde, nous obtenons une bien meilleure vue de la manière dont
             les différentes cultures interagissent et s'influencent mutuellement. L'in-
             fluence culturelle n'est pas simplement une voie à sens unique, l'occident
             influençant  le  reste du monde  . L'Afrique  et l'ccident ne  sont pas  des
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             mondes mutuellement exclusifs qui possèdent leurs propres identités au-
             thentiques et immuables: ce sont des entités hybrides qui s'influencent et
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