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montre clairement que ce sont des soldats africains qui gardent le camp
dans lequel les tirailleurs sénégalais sont emprisonnés. De même, citant ce
qu'il considère comme d'autres cas de relations oppresseur/victime dans
l'œuvre de Sembène, Harrow néglige de mentionner le film Emitaï, dans
lequel les troupes coloniales africaines tirent sur des villageois africains
désarmés.
Bien que l'œuvre de Sembène soit hautement politique, avec plus
qu'une touche de didactisme, je crois que Barlet et Harrow présentent une
image très inexacte de ses films. Il est vrai que Xala ne cache pas son
agenda socialiste, mais il présente également une vision extrêmement com-
plexe de la société sénégalaise, abordant les questions de genre ainsi que
des facteurs sociaux, culturels, économiques et politiques. Le film n'est pas
une œuvre de propagande simpliste: il s'intéresse profondément aux rituels
et aux symboles de la société sénégalaise, en particulier ceux de la bour-
geoisie urbaine émergente.
L'un des moyens les plus efficaces par lequel le film examine ces
questions est l'utilisation du costume. À cet égard, la troisième épouse d'El
Hadji, Ngoné, est un exemple particulièrement utile. Elle est présentée au
spectateur lors de la réception de mariage, où elle porte une robe de mariée
de style occidental. Au moment où elle arrive, la caméra fait un gros plan
sur le gâteau de mariage, sur lequel on voit un modèle en plastique d'un
couple de mariés blancs. L'incongruité de l'ensemble du mariage apparaît
dans cette seule image. L'aspiration aux normes de la classe moyenne oc-
cidentale implique de copier le mariage occidental dans ses moindres dé-
tails, y compris la robe de mariée blanche qui n'a pas sa place dans les
pratiques animistes islamiques ou africaines. La valeur réelle de Ngoné
pour El Hadji est montrée dans la scène où le marieur prépare la mariée
pour la consommation du mariage. Cette scène montre clairement que
Ngoné n'est qu'un objet sexuel qu'El Hadji a acquis. Alors que la marieuse
la déshabille et lui donne des conseils sur la façon de remplir ses devoirs
« traditionnels » d'épouse, nous voyons une photographie de Ngoné nue
sur le mur à l'arrière-plan. Prise de profil, montrant le dos nu de Ngoné et
un aperçu d'un de ses seins, la photographie agit comme une promesse
sexuelle de ce que le mariage est censé apporter à El Hadji. Là Ngoné éro-
tisée de la photographie est celle qu'il va épouser. Après que l'entremetteuse
ait fini de parler, Ngoné se retourne et nous voyons ses seins nus, qui sont
en grande partie cachés dans la photographie « de bon goût ». El Hadji est
sur le point de réaliser son souhait: l'image est sur le point de prendre chair
(jusqu'à ce que le xala frappe, bien sûr). Cette marchandisation de Ngoné
est évidente dans les extravagances de la réception de mariage et les ca-