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             Les africains  filment  l'Afrique:  remise
             en  question  des  théories  d'un  cinéma
             africain authentique


             David Murphy


                  e cinéma de l'Afrique subsaharienne a commencé à émerger au début
             L  des années 1960, au plus fort du processus de décolonisation. Pendant
              l'ère coloniale, les images cinématographiques de l'Afrique avaient été do-
              minées par d'innombrables épopées de la jungle, de la série Tarzan à The
                African Queen (1951), en passant par les diverses adaptations du roman
                profondément raciste de H. Rider Haggard, Les Mines du roi Salomon
               (1885) . En fait, les représentations cinématographiques occidentales de
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              l'Afrique  ont  contribué  à  renforcer  la  vision  hégélienne  dominante  de
              l'Afrique comme un continent sans histoire et sans culture  . Il n'est donc
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              pas surprenant que les cinéastes africains des années 1960 et 1970 aient en-
                trepris  de  contrer  ces  représentations  dégradantes  et  caricaturales  de
              l'Afrique. Lors de la deuxième réunion de la Fédération des Cinéastes Afri-
              cains (FEPACI) à Alger en 1975, cet engagement en faveur du développe-
               ment  d'un  cinéma  africain  qui  serait  radicalement  différent  des
              représentations cinématographiques précédentes de l'Afrique a été explicite
             : non seulement les films africains devraient représenter l'Afrique d'un point
             de vue africain, mais ils devraient également rejeter les codes cinématogra-
             phiques commerciaux occidentaux  . Cependant, de nombreux réalisateurs
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             africains se sont quelque peu éloignés de ces appels radicaux au cours des
             deux dernières décennies, s'inquiétant bien plus des problèmes liés à la créa-
             tion d'un cinéma africain populaire et d'une industrie cinématographique
             africaine viable. La réalité des « africains qui filment l'Afrique » n'a pas
             produit un cinéma africain unifié et « authentique ». Au contraire, elle a
             produit une série de visions complexes et souvent contradictoires du conti-
             nent. Par conséquent, l'un des objectifs de cet article est d'examiner la re-
             présentation de l'Afrique dans un certain nombre de films africains afin
             d'explorer les différentes hypothèses et préoccupations qui émergent de ces
             œuvres. Les films qui seront discutés sont Touki Bouki de Djibril Diop
             Mambéty (1973, Sénégal), Xala d'Ousmane Sembène (1974, Sénégal) et
             Yeelen de Souleymane Cissé (1987, Mali), trois œuvres radicalement dif-
             férentes avec des visions contrastées de l'Afrique : Touki Bouki est expéri-
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