Page 391 - Livre2_NC
P. 391
382 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Les africains filment l'Afrique: remise
en question des théories d'un cinéma
africain authentique
David Murphy
e cinéma de l'Afrique subsaharienne a commencé à émerger au début
L des années 1960, au plus fort du processus de décolonisation. Pendant
l'ère coloniale, les images cinématographiques de l'Afrique avaient été do-
minées par d'innombrables épopées de la jungle, de la série Tarzan à The
African Queen (1951), en passant par les diverses adaptations du roman
profondément raciste de H. Rider Haggard, Les Mines du roi Salomon
(1885) . En fait, les représentations cinématographiques occidentales de
1
l'Afrique ont contribué à renforcer la vision hégélienne dominante de
l'Afrique comme un continent sans histoire et sans culture . Il n'est donc
2
pas surprenant que les cinéastes africains des années 1960 et 1970 aient en-
trepris de contrer ces représentations dégradantes et caricaturales de
l'Afrique. Lors de la deuxième réunion de la Fédération des Cinéastes Afri-
cains (FEPACI) à Alger en 1975, cet engagement en faveur du développe-
ment d'un cinéma africain qui serait radicalement différent des
représentations cinématographiques précédentes de l'Afrique a été explicite
: non seulement les films africains devraient représenter l'Afrique d'un point
de vue africain, mais ils devraient également rejeter les codes cinématogra-
phiques commerciaux occidentaux . Cependant, de nombreux réalisateurs
3
africains se sont quelque peu éloignés de ces appels radicaux au cours des
deux dernières décennies, s'inquiétant bien plus des problèmes liés à la créa-
tion d'un cinéma africain populaire et d'une industrie cinématographique
africaine viable. La réalité des « africains qui filment l'Afrique » n'a pas
produit un cinéma africain unifié et « authentique ». Au contraire, elle a
produit une série de visions complexes et souvent contradictoires du conti-
nent. Par conséquent, l'un des objectifs de cet article est d'examiner la re-
présentation de l'Afrique dans un certain nombre de films africains afin
d'explorer les différentes hypothèses et préoccupations qui émergent de ces
œuvres. Les films qui seront discutés sont Touki Bouki de Djibril Diop
Mambéty (1973, Sénégal), Xala d'Ousmane Sembène (1974, Sénégal) et
Yeelen de Souleymane Cissé (1987, Mali), trois œuvres radicalement dif-
férentes avec des visions contrastées de l'Afrique : Touki Bouki est expéri-