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                     Les idées de « modernité » dans le discours dominant sont impli-
             citement synonymes de civilisation occidentale. Mais on ne peut pas faci-
             lement séparer la modernité et la tradition, d'une tradition spécifique et d'une
             modernité spécifique... Le moderne  arrive  dans  la  société traditionnelle
             comme une culture particulière avec ses propres traditions  . Cette spécifi-
                                                                 4
             cité est particulièrement importante, car l'opposition structurelle de la for-
             mulation tradition/modernité n'oppose pas une tradition à une autre, mais
             polarise la tradition (africaine) contre une notion essentialiste de la moder-
             nité. Comme l'a observé A. E. Afigbo:
                Dans les mythologies rivales de l'impérialisme européen et du nationalisme co-
                lonial, le changement était l'une des nombreuses innovations vitales que la do-
                mination européenne a introduites dans ce qui est généralement décrit comme
                des sociétés traditionnelles. Si les apologistes de l'impérialisme devaient com-
                piler leur propre dictionnaire, le mot changement, appliqué aux peuples colo-
                niaux, y serait défini de manière approbatrice comme un progrès, une transition
                linéaire spectaculaire et bénéfique d'une culture traditionnelle statique et im-
                productive à un modernisme dynamique et sans limites  .
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                     Le scénario dominant attribue explicitement à la « tradition » des
             rôles et des significations différentes en occident et en Afrique. En occident,
             la « tradition » est dotée d'une fonction de conservation - dans la mesure
             où elle préserve une notion cohérente, bien qu'idéalisée, de soi et de conti-
             nuité ; d'autant plus que le « terme tradition appartient à des champs lexi-
             caux chargés d'émotion et d'évaluation. Il convient également de noter qu'au
             niveau le plus élémentaire, l'opposé de « moderne » est « ancien », et non
             « tradition » ; mais poser les traditions africaines comme opposées à la mo-
             dernité refond les termes de référence et permet la projection subreptice
             d'un selfi mage narcissique occidental. Comme l'a noté Corinne Kratz,
             « les notions de tradition sont invariablement impliquées dans la politique
             de l'identité, et les domaines centraux des représentations de la tradition ont
             une incidence sur cette politique  ».
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             Racines

                     La critique cinématographique de la « modernité » a un antécédent
             littéraire dans les œuvres des romanciers africains dont les livres ont contri-
             bué à l'effondrement de la mystique de l'autorité coloniale. Dans ces œuvres,
             la perturbation de l'autorité coloniale, et en particulier de son sentiment fixe
             de stabilité, a créé une niche pour la construction d'une africanité sans entrave.
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