Page 416 - Livre2_NC
P. 416

Jude Akudinobi / Tradition/Modernité                         407

         voiture (un engin moderne) plutôt qu'un jouet « traditionnel » est une mé-
          taphore de la capacité d'adaptation des cultures africaines. D'ailleurs, un
          point crucial du film est qu'il n'y a pas assez de salles de classe pour absor-
         ber la demande débordante  d'une  éducation ostensiblement occidentale.
         Surtout, le croisé moral du film, Yabré, n'est pas un crieur public mais un
         journaliste « moderne » de la télévision et des journaux. De même, dans
         Sango Malo (de Bassek Ba Kobhio, 1990, Cameroun), le croisé réforma-
         teur, Malo Malo Bernard, est un instituteur formé à l'occidentale qui porte
          des blue-jeans et des vestes en cuir, accessoires de la culture pop occiden-
          tale, mais qui n'en épouse pas moins l'équivalent éducatif de la théologie
          de la libération. De plus, la centralité de la boutique de Honba dans la vie
          communautaire atteste de certaines modulations culturelles. Dans Quartier
          Mozart  (de  Jean-Pierre  Bekolo,  1992,  Cameroun),  la  sorcière  maman
          Thekla  utilise un taxi comme  moyen  de  transport  (plutôt que  le  balai
          répandu dans  le  folklore  occidental  ou  sa  variante  indigène).  Atango
          (également ap- pelée Young Ladies Candy) est diplômée de la Sorbonne et
          aspirante sty-  liste.  Le  lieu  du film, un quartier ouvrier, est une
          caractéristique des distinctions de classe capitalistes « modernes ».
                 Il est certain que le discours cinématographique sur l'identité post-
         coloniale est moins fondé sur la reconstruction d'un passé historique que
         sur l'examen du présent. Il repose sur l'idée que de nouveaux cadres de ré-
         férence, termes, catégories et prémisses, sont nécessaires pour réviser les
         circonscriptions au moyen desquelles l'Afrique est positionnée dans le dis-
         cours dominant sur la modernité. L'idée de la modernité est ainsi envisagée
         non pas à travers des principes idéalisés et universalistes, mais en fonction
         de son impact sur les cultures et l'identité africaines. Ce changement est re-
         marquable parce qu'auparavant, les réalités africaines avaient été :
            1) interprétées pour l'africain à travers la logique bidon de l'autorité coloniale;
            2) obscurcies et rendues insignifiantes, sauf dans la mesure où elles renforcent
            la désirabilité des valeurs occidentales;
            3) ou autrement reléguées au domaine de l'absurdité.

                 Dans  les  films  en  question,  nous  trouvons  des  incidents  de
         « magie », de « sorcellerie » et de « divination ». Dans le discours dominant,
         ces incidents sont souvent relégués au domaine de l'ab  surde, puisqu'ils
          nient ostensiblement la rationalité occidentale, la logique et les modes d'en-
          quête « scientifiques » acceptés.
   411   412   413   414   415   416   417   418   419   420   421