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Jude Akudinobi / Tradition/Modernité 407
voiture (un engin moderne) plutôt qu'un jouet « traditionnel » est une mé-
taphore de la capacité d'adaptation des cultures africaines. D'ailleurs, un
point crucial du film est qu'il n'y a pas assez de salles de classe pour absor-
ber la demande débordante d'une éducation ostensiblement occidentale.
Surtout, le croisé moral du film, Yabré, n'est pas un crieur public mais un
journaliste « moderne » de la télévision et des journaux. De même, dans
Sango Malo (de Bassek Ba Kobhio, 1990, Cameroun), le croisé réforma-
teur, Malo Malo Bernard, est un instituteur formé à l'occidentale qui porte
des blue-jeans et des vestes en cuir, accessoires de la culture pop occiden-
tale, mais qui n'en épouse pas moins l'équivalent éducatif de la théologie
de la libération. De plus, la centralité de la boutique de Honba dans la vie
communautaire atteste de certaines modulations culturelles. Dans Quartier
Mozart (de Jean-Pierre Bekolo, 1992, Cameroun), la sorcière maman
Thekla utilise un taxi comme moyen de transport (plutôt que le balai
répandu dans le folklore occidental ou sa variante indigène). Atango
(également ap- pelée Young Ladies Candy) est diplômée de la Sorbonne et
aspirante sty- liste. Le lieu du film, un quartier ouvrier, est une
caractéristique des distinctions de classe capitalistes « modernes ».
Il est certain que le discours cinématographique sur l'identité post-
coloniale est moins fondé sur la reconstruction d'un passé historique que
sur l'examen du présent. Il repose sur l'idée que de nouveaux cadres de ré-
férence, termes, catégories et prémisses, sont nécessaires pour réviser les
circonscriptions au moyen desquelles l'Afrique est positionnée dans le dis-
cours dominant sur la modernité. L'idée de la modernité est ainsi envisagée
non pas à travers des principes idéalisés et universalistes, mais en fonction
de son impact sur les cultures et l'identité africaines. Ce changement est re-
marquable parce qu'auparavant, les réalités africaines avaient été :
1) interprétées pour l'africain à travers la logique bidon de l'autorité coloniale;
2) obscurcies et rendues insignifiantes, sauf dans la mesure où elles renforcent
la désirabilité des valeurs occidentales;
3) ou autrement reléguées au domaine de l'absurdité.
Dans les films en question, nous trouvons des incidents de
« magie », de « sorcellerie » et de « divination ». Dans le discours dominant,
ces incidents sont souvent relégués au domaine de l'ab surde, puisqu'ils
nient ostensiblement la rationalité occidentale, la logique et les modes d'en-
quête « scientifiques » acceptés.