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Jude Akudinobi / Tradition/Modernité 411
D'autres exemples abondent. Dans Sango Malo, un groupe de vil-
lageois écoute, avec une attention soutenue, les poncifs « cosmopolites »
du steward de la compagnie aérienne: « Si vous aimez le bruit, les hambur-
gers et la musique pop, allez aux États-Unis… Mais je préfère Paris, le vin
et le fromage ». Et lorsqu'on lui demande s'il s'agit de vin de palme, une
boisson indigène de choix, il répond : « Non ! Du bon vin de table ». Une
situation similaire se produit à Zan Boko, où une spécialité locale, le Soum-
bala, est jugée non hygiénique par le riche voisin de Tinga, M. Tougouri,
qui en fait interdire la consommation en faisant part de son dégoût aux au-
torités sanitaires. Pris ensemble, ces deux exemples signalent le rejet d'un
héritage culturel dont certaines préférences alimentaires sont des extensions
locales. Articuler ces préférences alimentaires autour de catégories absolues
de bien/mal représente la déstabilisation ou l'aliénation culturelle du person-
nage. En outre, elle illustre les limites que la « modernité » ici, l'acquisition
de goûts « raffinés » impose à l'identité africaine. De manière significative,
ces films mettent en scène le dilemme de l'auto-représentation.
Dans Sango Malo, le programme novateur de Malo Malo Bernard
subvertit l'éducation coloniale résiduelle mais, ironiquement, il est défait par
son mépris de certaines « traditions », en particulier sa décision de cultiver une
forêt sacrée, lien entre les ancêtres et les vivants . La terre est également
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chargée d'une signification historique et spirituelle dans Zan Boko qui signifie
« l'endroit où le placenta est enterré ». Dans le film, l'em- piètement de la ville
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sur un village est assimilé à une atrophie sociale. Pour les mossi, la terre est «
imprégnée » d'une signification à la fois religieuse, culturelle, historique et
émotionnelle, mais aussi d'un rapport réel au lieu . Il s'agit donc ici d'un
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éloignement de la maison, du foyer et du patrimoine. Dans cette veine, les
remarques de Saddik Balewa sur les inflexions mé- taphoriques/nationalistes
du titre de son film, Kasarmu Ce (Cette terre est la nôtre), méritent d'être
notées . Ainsi, Alhaji Malik, qui convoite la terre d'un village en raison de ses
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riches gisements minéraux, vit dans l'opulence, paons, Mercedes-Benz,
fontaine à eau et est constitué comme une figure de perturbation, tout comme
Mad Dog dans Quartier Mozart. Mais dans le cas de Mad Dog, le privilège
établit un répertoire tyrannique caractérisé par des fantasmes de masculinité.
Ironiquement, Mad Dog recrute Panka (un homme habité par l'esprit d'une
femme, Maman Thekla) pour être son gar- dien de nuit. Ayant divorcé de la
terre, Mad Dog trouve un réconfort et une légitimation sociale en dehors des
limites « traditionnelles ».

