Page 420 - Livre2_NC
P. 420

Jude Akudinobi / Tradition/Modernité                         411

                 D'autres exemples abondent. Dans Sango Malo, un groupe de vil-
          lageois écoute, avec une attention soutenue, les poncifs « cosmopolites »
          du steward de la compagnie aérienne: « Si vous aimez le bruit, les hambur-
         gers et la musique pop, allez aux États-Unis… Mais je préfère Paris, le vin
         et le fromage ». Et lorsqu'on lui demande s'il s'agit de vin de palme, une
         boisson indigène de choix, il répond : « Non ! Du bon vin de table ». Une
         situation similaire se produit à Zan Boko, où une spécialité locale, le Soum-
         bala, est jugée non hygiénique par le riche voisin de Tinga, M. Tougouri,
         qui en fait interdire la consommation en faisant part de son dégoût aux au-
         torités sanitaires. Pris ensemble, ces deux exemples signalent le rejet d'un
         héritage culturel dont certaines préférences alimentaires sont des extensions
         locales. Articuler ces préférences alimentaires autour de catégories absolues
         de bien/mal représente la déstabilisation ou l'aliénation culturelle du person-
         nage. En outre, elle illustre les limites que la « modernité » ici, l'acquisition
         de goûts « raffinés » impose à l'identité africaine. De manière significative,
         ces films mettent en scène le dilemme de l'auto-représentation.
                 Dans Sango Malo, le programme novateur de Malo Malo Bernard
         subvertit l'éducation coloniale résiduelle mais, ironiquement, il est défait par
         son mépris de certaines « traditions », en particulier sa décision de cultiver une
         forêt sacrée, lien entre les ancêtres et les vivants  . La terre est également
                                                      21
         chargée d'une signification historique et spirituelle dans Zan Boko qui signifie
         « l'endroit où le placenta est enterré ». Dans le film, l'em- piètement de la ville
                                        22
         sur un village est assimilé à une atrophie sociale. Pour les mossi, la terre est «
         imprégnée » d'une signification à la fois religieuse, culturelle, historique et
         émotionnelle, mais aussi d'un rapport réel au lieu  . Il  s'agit  donc  ici  d'un
                                                       23
         éloignement de la maison, du foyer et du patrimoine. Dans cette veine, les
         remarques de Saddik Balewa sur les inflexions mé- taphoriques/nationalistes
         du titre de son film,  Kasarmu  Ce (Cette terre est la nôtre), méritent d'être
         notées  . Ainsi, Alhaji Malik, qui convoite la terre d'un village en raison de ses
                24
         riches  gisements  minéraux,  vit  dans  l'opulence,  paons,  Mercedes-Benz,
         fontaine à eau et est constitué comme une figure de perturbation, tout comme
         Mad Dog dans Quartier Mozart. Mais dans le cas de Mad Dog, le privilège
         établit un répertoire tyrannique caractérisé par des fantasmes de masculinité.
         Ironiquement, Mad Dog recrute Panka (un homme habité par l'esprit d'une
         femme, Maman Thekla) pour être son gar- dien de nuit. Ayant divorcé de la
         terre, Mad Dog trouve un réconfort et une légitimation sociale en dehors des
         limites « traditionnelles ».
   415   416   417   418   419   420   421   422   423   424   425