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414 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
l'établissement colonial de la domination incluait le changement de nom
des villes africaines . Il est intéressant de noter que, malgré les vicissitudes
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de la vie urbaine, dans La Vie est Belle, Kuru y trouve l'amour, la gloire et
la fortune. Ainsi, parce que le « moderne » et le « traditionnel » existent
côte à côte dans l'Afrique contemporaine, leurs moments de friction, voire
de collision, fournissent inévitablement des étincelles élémentaires pour en-
quêter sur la situation qui avait été précédemment marquée par l'évasion et
les insinuations. L'infusion d'une conscience politique et culturelle dans ces
films n'apporte pas seulement une tonalité à l'expérience africaine. Elle per-
met à l'africain de revendiquer et de s'approprier une identité unique et es-
sentiellement inavouable. La critique de la « modernité » dans ces films, il
faut le souligner, ne préconise pas un retour à l'anachronisme. En fait, elle
reconnaît que la société est dynamique, que les changements sont inévita-
bles, mais que l'investissement de l'euro-modernité avec une sorte de pou-
voir talismanique sous-tend l'asservissement culturel de l'Afrique.
Il est intéressant de noter que diverses formes d'ambivalence à
l'égard des idéaux « traditionnels » se manifestent dans les films. Dans
Quartier Mozart, le personnage « Good For Is Dead » (dont le nom signifie
Plus de crédit ), soit par frustration, soit par affliction individualiste, déclare:
« Parce que je suis un frère, vous voulez du crédit. Dans Sango Malo, le
chef du village, idéalement le repos de la tradition - est montré comme un
voyou corrompu et complice. Dans Kasarmu Ce, où une foule poursuit le
suspect d'un vol, on peut voir dans le recours à la justice sommaire l'ex-
pression de l'indignation de la communauté, l'effondrement de l'ordre judi-
ciaire ou l'inefficacité de l'application de la loi. Même la tradition séculaire
de la dot n'échappe pas à l'examen : Dans La Vie est Belle, elle est à l'origine
de la discorde filiale entre Mama Dingari et Kabibi, mais elle prend aussi
une tournure particulière lorsque Nvouandu offre une rôtissoire (un gadget
moderne) en guise de dot à Kabibi; dans Sango Malo, elle aboutit à une
tragédie; dans Kasarmu Ce, elle engendre l'endettement. Tout cela n'enlève
rien à l'idée que la promotion de nouvelles bases pour une modernité afri-
caine favorise le syncrétisme culturel, mais à condition qu'une telle « syn-
thèse se fasse à l'intérieur des paramètres de la tradition africaine plutôt qu'à
l'extérieur ». Ainsi, les efforts de Malo Malo dans Sango Malo ne portent
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pas tant sur la trajectoire de développement à suivre, comme une lecture
facile du film le suggérerait, mais sur la (re)définition de l'éducation elle-
même.