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Vers une théorie de l'oralité
         dans le cinéma africain


          Keyan G. Tomaselli, Arnold Shepperson, et Maureen Eke


              'importation directe en Afrique de méthodes, de théories, d'idées et d'hy-
          L  pothèses psychanalytiques développées dans le premier monde et ap-
             pliquées  au  cinéma  africain  n'est  pas  sans  poser  des  problèmes
          épistémologiques. Les approches marxistes, positivistes ou libérales-huma-
          nistes, entre autres, ne peuvent pas s'appliquer systematiquement dans les
          tentatives de compréhension des films et des publics africains. L'appel à la
          psychanalyse principalement lacanienne comme cadre d'interprétation sup-
          pose  que  les  spectateurs  africains  ont  essentiellement  des  subjectivités
          blanches et occidentalisées et que leurs lectures sont déterminées, comme
           l'exprime John Higgins, en fonction de la façon dont « le film cherche à
           positionner le spectateur pour que le film puisse être compris  ». Ce type
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           de théorie du cinéma n'a guère de prise sur les publics qui échappent aux
          subjectivités et aux positions de visionnage supposées ou construites pour
          eux par les réalisateurs, et qui à leur tour sont supposés par les critiques être
           eux-mêmes situés dans la psyché post-freudienne. Ces types de « rituels
           déconstructivistes européens  » supposent des ensembles particuliers de
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          conditions et de périodisations modernes et post-modernes qui ne sont pas
         nécessairement reproduits en Afrique de la même manière.
                 Les cultures orales, comme un exemple de divergence culturelle,
         parlent un monde différent de celui des cultures écrites. Les ontologies fa-
          çonnées par l'oralité supposent que le monde est constitué de forces en in-
          teraction d'une  échelle  et  d'une  signification cosmologiques plutôt que
          d'objets concrets sécularisés et discrets  . Les types de stratégies de narration
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         possibles dans le discours des cosmologies qui incluent l'influence d'agents
          para-normaux, tels qu'ils sont décrits dans une certaine mesure dans les
          films de Jean Rouch, fournissent la base de divisions de l'existence qui dif-
          fèrent du dualisme postulé par le dogme du fantôme dans la machine.
          La relation des africains comme la quintessence de « l’Autre » au « Même
         » historique de l’Europe a émergé des expériences respectives du colonia-
         lisme et du néocolonialisme. C’est dans ce contexte d’indétermination que
         nous discutons de l’échec de la théorie cinématographique occidentale à
         comprendre les différentes compréhensions de l’existence qui inscrivent les
         récits et les formes de beaucoup de cinéma en Afrique.
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