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Jude Akudinobi / Tradition/Modernité                         413

                 En corollaire, on a beaucoup parlé de la « dichotomie » rurale/ur-
          baine, en tant qu'élément de base du cinéma africain, de telle sorte que l'afri-
         cain est essentiellement (mal) interprété comme homo ruralis  . Étant donné
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         une telle approche, et enveloppée comme elle l'est par des sous-entendus
         de déterminisme biologique et culturel, il n'est pas surprenant alors que cer-
          taines réalités sociales africaines soient laissées ouvertes à une interprétation
          arbitraire; par exemple, concevoir « le phénomène urbain comme une ex-
          pression de la modernité et donc du développement  ». Absente de ce rai-
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          sonnement, habituellement, est toute notion de  modernité, autre que le
          progrès, comme  accessoire à la configuration  culturelle énervante de
          l'Afrique urbaine contemporaine. Ainsi, ce qui est examiné dans les films
          africains, ce n'est pas l'urbanisme en soi, puisque les villes existaient en
          Afrique avant le colonialisme, mais l'urbanisme colonial, qui a servi les in-
         térêts impériaux et imposé à l'africain une position de grave marginalité.
         Par conséquent, il est nécessaire d'étudier les « lieux de colonisation » pri-
         vilégiés, où le changement et l'occidentalisation se sont produits très tôt.
         De toute évidence, la ville est l'un de ces lieux, non seulement en tant que
         site géographique, mais aussi en tant que lieu privilégié d'interpénétration
         et de médiation où le changement était nécessaire pour que les gens puissent
         gérer leur survie et leur avenir, ni par simple collaboration, ni par résistance
         obstinée, mais par un processus croissant d'ajustement et de combinaison
         des structures sociales internes avec les structures externes  .
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                 La représentation du phénomène urbain dans les films africains ap-
          paraît donc à l'intersection de l'affirmation culturelle africaine et des efforts
          impériaux de « domestication ». Dans Sango Malo, les prostituées sont re-
          crutées dans la ville ; dans Kasarmu Ce, la ville est chaotique et corrompue
         ; dans Zan Boko, elle est perturbatrice et rapace; dans Quartier Mozart, elle
         est incarcérante; et dans La Vie est Belle, elle est un havre sybaire. Ces re-
         présentations marquent donc les villes comme des points de référence pour
         la reconstitution d'identités africaines fracturées. Il ne faut cependant pas
         négliger les grilles à plusieurs niveaux qui façonnent cette vision. Dans
         Quartier Mozart, la ville est à la fois un lieu enchanté (elle est ensorcelée)
         et un lieu d'enchantement (elle est fascinante). En outre, selon le réalisateur,
         Jean-Pierre Bekolo, le titre du film signifie l'hybridité de l'existence afri-
         caine contemporaine ; mais ce titre et Vladivostok, l'autre ville mentionnée
         dans le film, font tous deux allusion à un contexte historique dans lequel
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