Page 422 - Livre2_NC
P. 422
Jude Akudinobi / Tradition/Modernité 413
En corollaire, on a beaucoup parlé de la « dichotomie » rurale/ur-
baine, en tant qu'élément de base du cinéma africain, de telle sorte que l'afri-
cain est essentiellement (mal) interprété comme homo ruralis . Étant donné
27
une telle approche, et enveloppée comme elle l'est par des sous-entendus
de déterminisme biologique et culturel, il n'est pas surprenant alors que cer-
taines réalités sociales africaines soient laissées ouvertes à une interprétation
arbitraire; par exemple, concevoir « le phénomène urbain comme une ex-
pression de la modernité et donc du développement ». Absente de ce rai-
28
sonnement, habituellement, est toute notion de modernité, autre que le
progrès, comme accessoire à la configuration culturelle énervante de
l'Afrique urbaine contemporaine. Ainsi, ce qui est examiné dans les films
africains, ce n'est pas l'urbanisme en soi, puisque les villes existaient en
Afrique avant le colonialisme, mais l'urbanisme colonial, qui a servi les in-
térêts impériaux et imposé à l'africain une position de grave marginalité.
Par conséquent, il est nécessaire d'étudier les « lieux de colonisation » pri-
vilégiés, où le changement et l'occidentalisation se sont produits très tôt.
De toute évidence, la ville est l'un de ces lieux, non seulement en tant que
site géographique, mais aussi en tant que lieu privilégié d'interpénétration
et de médiation où le changement était nécessaire pour que les gens puissent
gérer leur survie et leur avenir, ni par simple collaboration, ni par résistance
obstinée, mais par un processus croissant d'ajustement et de combinaison
des structures sociales internes avec les structures externes .
29
La représentation du phénomène urbain dans les films africains ap-
paraît donc à l'intersection de l'affirmation culturelle africaine et des efforts
impériaux de « domestication ». Dans Sango Malo, les prostituées sont re-
crutées dans la ville ; dans Kasarmu Ce, la ville est chaotique et corrompue
; dans Zan Boko, elle est perturbatrice et rapace; dans Quartier Mozart, elle
est incarcérante; et dans La Vie est Belle, elle est un havre sybaire. Ces re-
présentations marquent donc les villes comme des points de référence pour
la reconstitution d'identités africaines fracturées. Il ne faut cependant pas
négliger les grilles à plusieurs niveaux qui façonnent cette vision. Dans
Quartier Mozart, la ville est à la fois un lieu enchanté (elle est ensorcelée)
et un lieu d'enchantement (elle est fascinante). En outre, selon le réalisateur,
Jean-Pierre Bekolo, le titre du film signifie l'hybridité de l'existence afri-
caine contemporaine ; mais ce titre et Vladivostok, l'autre ville mentionnée
dans le film, font tous deux allusion à un contexte historique dans lequel