Page 32 - Miettes
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Tout est allé très vite. Grand-père m’avait ramené ma maman. Il
avait bravé les interdictions de visite strictes de ce blockhaus, il a
avait brandi le poing aux blouses blanches pour extirper maman
de leur séquestre. Il l’avait débranchée de ces cordons, tuyaux et
fils en pagaille qui la maintenaient à la vie selon eux, à ce lit de
mort selon lui.
Papy avait trouvé maman toute abandonnée. En abandon d’elle-
même, en abandon des autres. Il avait coupé tous ces fils qui
faisaient d’elle une marionnette. Il l’avait soutenue de tout son
corps par le bras, avait ralenti sa marche pour suivre son pas
fragile jusqu’à la sortie. Jusqu’à la lumière du jour. Jusqu’à son
retour à la vie extérieure hors de cette enceinte revêtue de blanc,
de vert, de bleu, et puant le propre javélisé à vous en aseptiser
l’odorat.
Papa lui n’avait fait que conduire. Maintenant il avait peur. Car
grand-père savait. Maintenant il savait que maman avait été
délibérément engluée dans ce mouroir, car l’infirmière avait
opposé à papy qu’il était « trop tard », que le sort de maman était
scellé, car les papiers pour l’internement en section psychiatrique
avaient été validés. Papa avait dû le reconnaitre, il avait tout laissé
faire, et il avait donné l’indispensable accord, pour que maman
parte loin, soit internée, et ne revienne pas. Il argumentait qu’il ne
se sentait pas à la hauteur pour affronter tout cela, et que les
équipes médicales étaient plus compétentes que lui.
De toute façon elle se laissait mourir maman. Donc il fallait bien
faire quelque chose disait-il…
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