Page 46 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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LE BISTROT
« Au Bon Fraisier »
Je me suis toujours demandée pourquoi le bistrot de mes parents portait
fièrement l’enseigne : "Au Bon Fraisier". J'avoue, en y réfléchissant et cherchant
au fond du jardin, y avoir trouvé quelques plants de fraises, mais franchement
pas assez dignes d'une telle renommée. J'ai même découvert pendant la pleine
saison, deux grosses fraises, dont le coeur était hélas transpercé par le passage
probable d'une limace gourmande... Je pense néanmoins qu'à l'origine le jardin
abondait de ce délicieux fruit.
Amoureuse de la nature et à mon grand désarroi, je savais que mon père
n’allait pas se consacrer au jardinage, par manque de temps. De plus il n'avait
pas la main verte et sa passion il la consacrait au jeu de bourles, puisqu'il
détenait à cette époque la fameuse réputation de grand champion de la région.
J'aimais malgré tout ce grand jardin situé derrière le bistrot, qui longeait notre
bourloire. J’y passais de nombreux jours ensoleillés, parmi les herbes folles
dues au manque d'entretien, mais papa y avait installé une balançoire, pour
notre plus grand plaisir.
Le café quant à lui assez vieillot était meublé d'authentiques tables et
chaises de style «bistrot» en bois sombres avec un comptoir assorti, le dessus
recouvert d'une plaque de zinc. Un grand miroir avec des étagères face au
comptoir donnait un peu de clarté dans ce décor lugubre, la lumière du jour
filtrée par les fenêtres de façade s'y reflétait.
Une chose dont j’avais en horreur et qui pourrait paraître choquante de
nos jours, ces fameux crachoirs installés au bas du comptoir au milieu et sur les
cotés, ce qui me répugnait horriblement par manque d’hygiène. Maman
n'appréciait pas ce style vieillot et allait bientôt y remédier en le réhabilitant
dans un style très prisé à l'époque, avec des chaises et tables en formica jaune
et noir et un comptoir assorti, le tout rehaussé d’un papier peint à fond clair et
à motifs de style dit "Picasso". Nous avions, à l'époque, la réputation de bistrot
le plus moderne de la ville, ce qui renouvela un peu la clientèle, et alimenta les
ragots de quartier.
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