Page 235 - La pratique spirituelle
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des résistances du moi, qui refuse de disparaître au profit du
 *          Soi. Ce qui connaît le moi est libre du moi.
 *  *
 Il n’y a pas un jour passé sans que je me rende compte que l’atta-  *
 chement à « faire les choses comme je veux » est une souffrance.   *  *
 Des petits évènements quotidiens et futiles auxquels je m’oppose   Concernant l’attention ramenée à un seul point, est-ce que le
 provoquent des tempêtes intérieures. Ce ne sont que des succes-  retour arrière suivant « je respire -> je suis respiré -> je suis »
 sions de petits refus qui finalement créent un sentiment de mal-  paraît valide ? Y a-t-il un écueil « propre » à ce retour, auquel il
 être. Il y a un grand conflit entre ce que je souhaite obtenir et ce   faudrait être vigilant ?
 qui se passe vraiment. Je suis étonnée de voir l’acharnement du   Oui, cette démarche soustractive est valide pour rame-
 moi dans des situations quotidiennes et banales.Étonnée et un   ner le « je suis » à sa pure essence. Il convient toutefois d’être
 peu impuissante à cesser les petits conflits.  attentif de ne pas rester fixé sur un concept du « je suis », qui
 Comme le souligne bien Wei Wu Wei dans l’intitulé de   maintient une division, alors que ce concept lui-même pro-
 son texte « La vie non-volitive – Le reste n’est qu’esclavage »,   longe l’essence d’être non conceptualisée et non conceptuali-
 toute volition est une prison. Une fois que cela est vu et com-  sable. Le doigt pointé n’est pas ce vers quoi il pointe.
 pris, les mouvements de volition vont pouvoir être reconnus
 dès leur naissance, et abandonnés, car ne menant qu’à des   Avec le souffle comme prolongement de la conscience pure, la
 impasses. Le non-vouloir n’est pas une nouvelle forme de vou-  démarche me paraît plus progressive, telle une remontée des ten-
 loir. Il est une présence active aux choses telles qu’elles sont,   tacules vers leur centre, que soustractive.
 et un jaillissement fluide des réponses qui peuvent émerger   On remonte, en effet, ainsi, depuis le souffle vers le
 de notre être manifesté. Ces réponses ne sont pas alourdies   connaisseur du souffle, qui est en amont du souffle et est libre
 par notre volonté. Elles sont juste circonstancielles, liées à   du souffle. Il y a, toutefois, aussi une soustraction qui se fait
 la situation, mais non au besoin d’affirmation de notre ego.   dans le vécu, puisque l’attention se détourne de l’objet, pour
 Dans cette écoute silencieuse, attentive et dépouillée du juge-  réintégrer le sujet non-objet.
 ment, il n’y a pas de conflit. Si un mouvement égotique sur-
 vient, lié à une préférence ou à une opinion, celui-ci est vu,   La conscience pure étant libre aussi du souffle, la remon-
 et peut être abandonné, plus ou moins facilement selon l’in-  tée depuis ce dernier, jusqu’au connaisseur, n’est donc pas
 tensité de l’attachement qui le maintient. La vision ne crée   continue jusqu’au bout. À un moment donné, l’attention doit
 pas de conflit. Elle voit, et sait, mais ne construit pas une   ne plus rester focalisée sur l’objet, quel qu’il soit. Comment
 nouvelle idée sur la manière dont les choses devraient être.   faire, sans vraiment faire, pour que l’attention reste alerte, en
 C’est en revenant au regard pur de la conscience témoin, que   elle-même ?
 cette perspective devient naturelle et sans effort. Il ne s’agit pas   C’est un lâcher-prise total, laissant l’attention tournoyant
 d’un but à atteindre, mais de la conséquence de l’élimination     sur elle-même, cherchant encore un objet auquel s’accrocher,




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