Page 237 - La pratique spirituelle
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jusqu’à ce qu’elle trouve son assise en elle-même, sans support Le moi a une tendance spontanée à se débattre. Même une petite
d’aucun objet. Il ne s’agit pas ici d’un mouvement animé par voix disant : « Reste tranquille » vient du moi élaborant une
la volonté de l’ego, mais un mouvement qui s’éteint de lui- nouvelle stratégie.
même dans la plénitude silencieuse. Oui. Seule l’attention silencieuse perçoit sans commenter.
Dire que la conscience doive rester « alerte » en elle-même, c’est Je me dis aussi que les moments de souffrance permettent de
encore une surimposition, une saisie du mental, se représentant révéler la paix immuable sous-jacente, d’une manière plus pro-
ce qui n’est encore qu’un état de la conscience ? fonde peut-être que quand tout va bien.
La conscience est naturellement alerte, car elle ne dort pas, Oui, ces moments de souffrance sont une invitation à réin-
et est le témoin de tout ce qui émerge en elle. L’état d’alerte tégrer sa nature axiale.
volontaire est un état mental concentré, qui est lui-même objet
dans la conscience. Lorsque cet état est vu ainsi, il se dénoue En fait, je crois que, quand il y a absence de pensée, cet état n’est
et se dissout dans ce qui le contient. pas perçu comme une absence et la présence s’y révèle.
Oui, la présence est, quand la pensée n’est pas.
*
* * Cet état dure de plus en plus, parfois plusieurs heures. Mais,
parfois des pensées lourdes viennent et s’enchaînent. Une réac-
J’arrive à un état de présence intense, alerte, dégagé de l’objet, tion semble nécessaire pour revenir à cet état de paix, réaction
des situations. Cependant, il m’arrive aussi de retomber dans qui provient d’un sentiment d’insécurité du moi.
l’identification à l’objet, à mes pensées, à « moi ». J’ai comme La paix, qui est non objective dans sa nature propre,
l’impression que ce moi reprend de la vigueur. Il y a donc des devient alors objet. Un état est ainsi créé, et un attachement
cycles : libération-identification. Aurais-tu un conseil à me don- à l’état se fait.
ner quand il y a identification ? car j’élabore à nouveau des stra-
tégies (« reviens à l’écoute », « qui a peur », « pas de passé ni Que convient-il de faire alors pour éviter cela ? Laisser mûrir la
futur », « pas de jugement », etc.). Est-ce que le fait de tourner perspective, simplement en constatant l’implication égotique ?
en rond fait partie du processus pour se rendre compte que la Comprendre que ta nature propre est non objective, et que
volition, l’espoir, le moi ne servent à rien ? tout ce qui peut être objectivé n’est pas cela. Cette compré-
Ce qui regarde, le témoin éternel de la mouvance du hension est illumination dès lors que tu réalises ton absolue
monde, est en dehors des fluctuations de perspective. C’est incapacité à t’objectiver, simultanément à la totale absence de
cette unité au regard qui se cherche, et c’est en elle que gît doute quant à la réalité de ce que tu es.
l’ultime stabilité. Toute volition t’éloigne de ce vécu primor-
dial. Tout abandon t’en rapproche. Il n’y a que l’identité à ce Est-ce qu’une concentration provisoire peut être envisagée pour
vécu qui puisse te saisir, et dissoudre toute distance entre elle « immobiliser » le processus du mental (sur le corps, ou sur la
et toi. respiration) ?
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