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ENTREZ DANS LA NEUROERgONOMIE
                  ergonomiquement. Leurs performances sont de purs cas de neu‑
                  roergonomie. Je suis convaincu qu’avec cinquante mille heures de
                  pratique (tout de même !), tout le monde pourrait atteindre ces per‑
                  formances. Mais tout le monde ne veut pas devenir haltérophile, ath‑
                  lète de la mémoire ou du calcul mental. Car ces précisions en matière
                  d’ergonomie cérébrale sont largement acquises, très peu innées, et
                  elles relèvent souvent d’une pratique à la fois acharnée et inspirée.
                    Notre cerveau a des articulations, il y a des mouvements qu’il peut
                  ou ne peut pas faire, il a des limites claires, des empans.  L’empan
                  de la main, c’est la distance qui va du bout de notre pouce au bout
                  de notre petit doigt, main ouverte. Il conditionne ce que l’on peut
                  saisir. Mais nous pouvons saisir des objets bien plus gros que notre
                  main s’ils ont une poignée. Les objets de la vie mentale sont d’une
                  nature comparable : notre cerveau peut soulever des idées plus
                  larges que l’empan de notre conscience, mais il faut qu’elles soient
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                  dotées d’une poignée. En psychologie, on appelle « affordance »
                  la partie d’un objet physique qui est la plus naturellement prise
                  par nos mains. La poignée d’une casserole, par exemple, est son
                  affordance. Eh bien, les idées aussi ont des affordances, et le bon
                  professeur sait munir les notions abstraites d’une poignée intellec‑
                  tuelle simple. Ça aussi, c’est de la neuroergonomie.
                    On dit souvent que nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau.
                  C’est un mythe, et c’est même un non‑ sens évolutif. Que signifient
                  ces « 10 % » ? Sont‑ ils 10 % de sa masse ? De son énergie consom‑
                  mée ? De son nombre de cellules ? Notre cerveau a été optimisé par
                  l’évolution ; des centaines de millions d’humains et d’hominidés
                  sont morts dans son affûtage, et même s’il est remarquablement
                  flexible, plastique et adaptable, il n’y a pas grand‑ chose à jeter
                  dedans. « 10 % », ce n’est pas faux, mais ça ne veut rien dire. Que
                  signifierait une phrase comme « Nous n’utilisons que 10 % de nos
                  mains » ? Ou « Tu n’as utilisé que 10 % de ce stylo » ? Ces 10 % de
                  cerveau ont attiré notre attention parce que nous sommes condi‑
                  tionnés à réagir aux chiffres, aux notes, aux pourcentages… C’est
                  ce que l’auteur René Guénon a appelé « le règne de la quantité » :
                  nous sommes incapables d’évaluer réellement la qualité des choses,


                    1.  Gibson,  E.  J.  et  Walker,  A.  S.,  « Development  of  knowledge  of  visual‑ tactual
                  affordances of substance », Child Development (1984), 453‑460.

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