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ENTREZ DANS LA NEUROERgONOMIE
Tous prodiges ?
Je fais partie de ceux qui pensent que nous pourrions tous être
des « prodiges ». Le problème ne vient pas de nos capacités, mais
de notre définition du terme « prodige », qui est au fond très pué‑
rile. Prenons le quotient intellectuel (QI), qui procède typique‑
ment du « règne de la quantité », diagnostiqué par René Guénon.
À l’origine, il relève du « facteur G » développé par le psychologue
anglais Charles Spearman. En 1904, ce dernier découvrit une cor‑
rélation significative entre les performances scolaires à travers les
disciplines : un enfant qui excelle en anglais a, par exemple, plus
de chances d’exceller en mathématiques, de sorte qu’il y a fré‑
quemment des « premiers de la classe » excellant dans toutes les
disciplines. Constatant cela, Spearman voulut trouver le dénomi‑
nateur commun à cette excellence scolaire, et il le nomma « facteur
G », pour « général ». La notion de quotient intellectuel était en
gestation.
On ne peut dissocier les découvertes de Spearman de la ten‑
dance générale à l’eugénisme et à l’« hygiène sociale » qui pré‑
valait à l’époque ; les mesures de l’intelligence ont, en effet, été
popularisées par l’eugéniste Galton, qui avait établi une échelle
pseudo‑ scientifique aux capacités intellectuelles des peuples et
justifiait ainsi, entre autres, la colonisation. Or ce que Spearman
observait, c’était une forte corrélation dans la nature intellectuelle
des épreuves scolaires, rien de plus. Ce qu’un élève doit mobiliser
pour avoir une bonne note en anglais n’est pas très loin de ce qu’il
doit mobiliser pour en avoir une aussi bonne en mathématiques. En
aucun cas l’école ne capture toute la vie : c’est la vie qui contient
l’école, pas l’inverse. De même, l’école ne capture pas l’humanité,
et le facteur G encore moins. S’il vient souligner un aspect petit
et reproductible de l’intelligence, il serait pseudo‑ scientifique de
dire qu’il saisit l’excellence, même cognitive. Le facteur G est à
l’intelligence ce que l’ombre est à la tête humaine. Il porte de la
connaissance, c’est‑ à‑ dire de l’information « réplicable », mais il en
porte très peu, et il faudrait être ignorant ou arrogant pour l’assi‑
miler à ce phénomène multidimensionnel qu’est l’intelligence, et
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