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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
signifierait que nos techniques de sélection ne sont que de pâles
copies de celles qui prévalent dans la vraie vie, qui est à la fois
plus ancienne, plus vaste et plus diversifiée que la vie notée (dont
fait partie la vie scolaire).
La vie notée est à la vraie vie ce que le cheval de bois est au vrai
cheval. Vous pouvez avoir échoué à une multitude d’examens sur
cheval de bois et exceller sur un vrai cheval par la suite, laissant loin
derrière vous les premiers de la classe. Or, dans la société que nous
créons, celui qui excelle sur un cheval véritable sans être passé par
le cheval de bois, on le traite d’imposteur ou d’arriviste. L’humain
est ainsi fait, mais ce bizutage est le réflexe des faibles d’esprit. Si
votre vie entière repose sur un cheval de bois, il vous sera plus facile
d’affirmer que le cheval véritable n’est qu’une légende.
On nous a fait croire que la vraie vie (professionnelle, scienti‑
fique…) ne pouvait plus exister sans la vie notée. C’est pourquoi
un scientifique doit passer son temps à surveiller sa note dans les
classements de citation, sans quoi il n’existe pas. Pour avoir voulu
très tôt libérer ma vie mentale de la vie notée, j’ai appris une sagesse
essentielle : la vie réelle peut contenir la vie notée, la vie notée
ne peut pas contenir la vie réelle. La première est plus ancienne,
plus vénérable, plus vraie et plus noble que l’autre, qui a fait sur
elle un coup d’État. Quiconque critique ce coup d’État s’expose à
des punitions redoutables, car le système par lequel la vie notée a
décapité la vie réelle et s’est couronnée à sa place possède tous les
attributs d’une religion sadique, avec ses prêtres, son inquisition
et ses expiations.
Sous la iii République, l’école française enseignait la nage au
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tabouret. On utilisait pour apprendre des machines, des appareils,
sans jamais aller dans l’eau. Imaginez que l’on établisse un sys‑
tème de permis de nage, avec épreuves théoriques et mécaniques
obligatoires. Imaginez un moniteur de ce permis rencontrant un
enfant d’Amazonie ou des Caraïbes qui aurait, lui, appris à nager
en se jetant à l’eau. Comment réagirait cet homme ? Il passerait par
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toutes les étapes de la dissonance cognitive et chercherait proba‑
blement une explication fantaisiste pour maintenir le système de
pensée sur lequel il a bâti toute sa vie. Son explication se trouverait
1. Il y a « dissonance cognitive » lorsque ce que je vois brise ce que je crois. Cf. p. 129.
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