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ENTREZ DANS LA NEUROERgONOMIE
alors qu’il se trouve justement dans l’homme libéré de la vie notée.
Homo sapiens sapiens est supérieur à Homo æstimatus. Et parce
que « estimé » nous semble flatteur, nous avons oublié qu’il est
avant tout une aliénation. C’est l’esclave qu’on estime, avant de
l’acheter ou de le vendre.
Le sage Pierre Rabhi l’a si bien compris qu’il a brisé les manuels
de son temps. Il savait que c’était aux manuels de se mettre au ser‑
vice de l’homme et non à l’homme de se soumettre aux manuels.
À la conférence TEDxParis de 2011, il a posé la question suivante :
« Y a‑ t‑il une vie avant la mort ? » Ses mots, limpides, sont réservés
à ceux qui ont fait l’épreuve de la vie réelle.
« …et puis, la grande proclamation de la modernité, c’était que
le progrès allait en quelque sorte libérer l’être humain. Mais moi,
quand je prenais l’itinéraire d’un être humain dans la modernité, je
trouvais une série d’incarcérations, à tort ou à raison. De la mater-
nelle à l’Université, on est enfermés, on appelle ça un “bahut”,
tout le monde travaille dans des boîtes, des petites, des grandes
boîtes, etc. Même pour aller s’amuser, on y va, en boîte, bien sûr
dans sa caisse, hein, bien entendu… Et puis vous avez la dernière
boîte où on stocke les vieux, en attendant la dernière boîte que
je vous laisse deviner. Voilà pourquoi je me pose la question :
existe- t-il une vie avant la mort ? »
Autrefois, nous existions par nous‑ mêmes, pas par notre fonc‑
tion. Mais les structures tribales se solidifiant et s’amplifiant avec
l’urbanisation, la fonction a pris le pas sur l’être. Je ne crois pas que
Shakespeare, pourtant, ait affirmé un jour : « Faire ou ne pas faire,
telle est la question. » Pierre Rabhi a raison : nous avons créé une
grande diversité de boîtes, mentales, culturelles ou physiques, dans
lesquelles nous avons pris l’habitude de nous enfermer systéma‑
tiquement. Cet enfermement est une telle condition de notre vie,
que bien souvent nous ne pensons pas à nous définir autrement
que par la boîte où nous nous sommes rangés.
Notre cerveau est effectivement soumis à une succession
d’incarcérations, que nous finissons par intégrer dans nos schémas
de pensée. Car penser dans un schéma est plus rapide à long terme
que de penser en dehors, de sorte que le schéma est à la pensée ce
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