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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  que l’industrie est à l’agriculture : un outil, mais aussi une limitation,
                  une standardisation, un conditionnement et un appauvrissement
                  intrinsèque du goût et de la diversité, donc de l’adaptabilité.
                                       e
                    Au milieu du  xix   siècle, une gigantesque famine a frappé
                    l’Irlande. Quasiment toutes les patates du pays étaient alors issues
                  d’un même clonage.  Lorsque le mildiou les a attaquées, cette
                  absence de diversité a rayé la production de la carte, plongeant le
                  pays dans la crise la plus tragique de son histoire contemporaine. Si
                  l’appauvrissement de la biodiversité peut nous ruiner en quelques
                  jours, il en va de même pour l’appauvrissement de la diversité
                  mentale, à laquelle notre éducation a contribué elle aussi. Notre
                  éducation est à notre cerveau ce que l’agriculture industrielle est
                  aux plantations. Appauvrir la biodiversité nous ruine, appauvrir la
                  « noodiversité » nous ruine plus encore.
                    Même Bill Gates, qui n’a pas échappé à la vie notée, puisque
                  dans nos sociétés la fortune est la note la plus respectée, avouait
                  un jour : « J’ai échoué à mes examens. J’ai un ami, par contre,
                  qui a réussi tous ses examens à Harvard. Lui, il est ingénieur chez
                  Microsoft. Moi, je suis fondateur de Microsoft. » Moralité : l’échec
                  est un diplôme, et il y a un univers entier, incluant l’entrepre‑
                  neuriat, que la vie ferme à ceux qui n’ont pas ce diplôme‑ là. Les
                  mentalités évoluent cependant  : Johannes Haushofer, éminent
                  professeur de Princeton, a tout récemment publié le « CV de ses
                  erreurs  ».
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                    « La vie est une grande leçon que tu méprises, disait Richard
                  Francis Burton dans son plus grand poème, savoir que tout ce que
                                                                     e
                  nous savons n’est rien. » Burton, qui vécut au xix  siècle, parla
                  couramment vingt‑ neuf langues et dialectes au cours de sa vie,
                  dont un arabe tellement impeccable qu’il effectua le pèlerinage à
                  la Mecque déguisé, pensant, rêvant, soliloquant en arabe. Jeune, il
                  s’exclut lui‑ même des chemins de l’excellence administrative en
                  commençant par quitter Oxford dans l’expression flamboyante
                  de sa forte personnalité, celle‑ là même qui lui vaut d’être connu
                  aujourd’hui, quand des milliers de ses pairs, bien plus haut placés
                  dans la bureaucratie, ont quitté nos mémoires.


                    1.  « CV of failures : Princeton professor publishes résumé of his career lows », The
                  Guardian, 30 avril 2016.

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