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NEUROMIMÉTISME
                       Où les uns vivent leur vie atroce, en en tuant des millions
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                    d’autres .
                    Les individus aux nerfs détruits peuplent aussi bien les hôpitaux
                  que les prisons, mais ils peuvent également occuper des postes à
                  responsabilité et présider à notre destinée. On a démontré, par
                  exemple, qu’à force de ridiculiser l’empathie et la gentillesse, de
                  glorifier l’égoïsme, la cruauté et la vanité, certains métiers promou‑
                  vaient la psychopathie. Imaginez tout ce qui serait physiquement
                  interdit, ou pénible, à quelqu’un qui aurait le dos tordu. Eh bien,
                  imaginez de même toutes les pensées, les sagesses, interdites à un
                  cerveau tordu…
                    En tordant le cerveau des gens, nos systèmes produisent des
                  neuro‑ infirmes. Leur infirmité est insidieuse, parfois déguisée en
                  vertu, et il arrive qu’elle surgisse brutalement, entraînant d’autres
                  êtres dans le malheur. Cette cacophonie de nerf à nerf dure depuis
                  la nuit des temps, et en chacun de nos actes, nous avons le choix
                  – plus ou moins aisé, plus ou moins légendaire – de jouer une note
                  qui influencera l’humanité entière.
                    Dans la sombre ballade d’Arturo Diaz, il y a les échos de vio‑
                  lence et de compassion, dont les notes résonnent depuis le Moyen
                  Âge, et même depuis les premiers humains, entre des pères, des
                  frères, qui se sont battus, humiliés, rabaissés, qui se sont torturés
                  nerveusement de toutes les manières possibles… Ce feu se prolonge
                  encore à l’heure où vous lisez ces lignes, chaque jour qui passe, les
                  nerfs à vif des uns et des autres continuent de produire des notes
                  stridentes, et ils sont nombreux, très nombreux, les neuro‑ infirmes
                  qui s’ignorent.
                    Car si elle est bien réelle, la neuro‑ infirmité a cette particularité
                  qu’elle est difficilement observable par nos imageries rudimentaires.
                  Notre dos, notre main, nous les voyons, nous les touchons, nous
                  savons leurs modes de fonctionnement (sains et efficaces pour
                  certains, inefficaces et malsains pour d’autres), nous sommes plus
                  ou moins conscients de la taille de leur empan et de leur point de
                  rupture. Pourtant, même si nos mains sont devant nous depuis que
                  l’humanité existe, il nous a fallu plusieurs trentaines de millénaires



                    1.  Richard Francis Burton, The Kasidah of Haji Abdu el- Yezdi.

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