Page 221 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 221
LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
christians de l’époque, qui formaient la base électorale de Perry,
défendaient la peine de mort, tandis que ma grand‑ mère, comme
beaucoup de ferventes chrétiennes françaises, amatrice de Victor
Hugo et donc lectrice du Dernier Jour d’un condamné, espérait son
abolition universelle.
À l’écriture de la lettre, donc, j’ai tâché de me plonger dans ce
que l’on pourrait appeler la neurochronologie d’Arturo Diaz. Et
ce que j’y ai trouvé m’a laissé une impression glaçante.
Imaginez, en effet, qu’à l’image des troncs d’arbres, dont les cernes
délimitent les rythmes de croissance et enferment des informations
sur la rigueur ou la douceur de chaque saison, nos nerfs aient des
cernes eux aussi, qui retracent chaque coup, chaque peur, chaque
mépris, chaque pardon, chaque patience, chaque haine mais aussi
chaque miséricorde. Aucun homme ne naît avec les nerfs assez vola‑
tiles pour massacrer son prochain. La volatilité nerveuse se construit.
Elle est la superposition et le pourrissement de contacts avec d’autres
volatilités. De sorte qu’il existe, vraiment, des humains ignifuges
(comme le furent Gandhi, Mandela ou Martin Luther King, Jr, pour
n’en citer que les plus glorieux exemples) et d’autres inflammables.
La neurochronologie de Diaz ne m’a montré qu’une intermi‑
nable succession d’entailles et de psycatrices profondes : cet homme
n’était plus maître de sa douleur, mais sa douleur l’était devenue
de lui. Il arrive un moment où, à force de souffrances et de frustra‑
tions, ce sont nos nerfs qui nous dirigent. Chaque instant devient
alors un instant de survie. L’homme dont les nerfs sont dévorés
par la peur, le mépris, l’usage répété de la violence sur eux, est un
homme extrêmement dangereux. Il pourra ne tuer qu’une seule
personne (peut‑ être lui‑ même), ou brûler d’une passion si sombre
qu’elle sidérera les masses, qui le porteront elles‑ mêmes au pouvoir
et lui donneront les leviers nécessaires pour tuer des millions de
gens en toute légalité.
Que la vie est atroce, vaine et sombre, comme ces scènes qui
passent en l’ivrogne
Comme « être » signifie « n’être pas », voir et sentir, entendre
et ressentir
Une goutte dans les marées sans bord de l’océan, gâchis
d’agonie insondable
220
266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd 220 02/09/2016 14:39:03