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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  christians de l’époque, qui formaient la base électorale de Perry,
                  défendaient la peine de mort, tandis que ma grand‑ mère, comme
                  beaucoup de ferventes chrétiennes françaises, amatrice de Victor
                  Hugo et donc lectrice du Dernier Jour d’un condamné, espérait son
                  abolition universelle.
                    À l’écriture de la lettre, donc, j’ai tâché de me plonger dans ce
                  que l’on pourrait appeler la neurochronologie d’Arturo Diaz. Et
                  ce que j’y ai trouvé m’a laissé une impression glaçante.
                    Imaginez, en effet, qu’à l’image des troncs d’arbres, dont les cernes
                  délimitent les rythmes de croissance et enferment des informations
                  sur la rigueur ou la douceur de chaque saison, nos nerfs aient des
                  cernes eux aussi, qui retracent chaque coup, chaque peur, chaque
                  mépris, chaque pardon, chaque patience, chaque haine mais aussi
                  chaque miséricorde. Aucun homme ne naît avec les nerfs assez vola‑
                  tiles pour massacrer son prochain. La volatilité nerveuse se construit.
                  Elle est la superposition et le pourrissement de contacts avec d’autres
                  volatilités. De sorte qu’il existe, vraiment, des humains ignifuges
                  (comme le furent Gandhi, Mandela ou Martin Luther King, Jr, pour
                  n’en citer que les plus glorieux exemples) et d’autres inflammables.
                    La neurochronologie de Diaz ne m’a montré qu’une intermi‑
                  nable succession d’entailles et de psycatrices profondes : cet homme
                  n’était plus maître de sa douleur, mais sa douleur l’était devenue
                  de lui. Il arrive un moment où, à force de souffrances et de frustra‑
                  tions, ce sont nos nerfs qui nous dirigent. Chaque instant devient
                  alors un instant de survie. L’homme dont les nerfs sont dévorés
                  par la peur, le mépris, l’usage répété de la violence sur eux, est un
                  homme extrêmement dangereux. Il pourra ne tuer qu’une seule
                  personne (peut‑ être lui‑ même), ou brûler d’une passion si sombre
                  qu’elle sidérera les masses, qui le porteront elles‑ mêmes au pouvoir
                  et lui donneront les leviers nécessaires pour tuer des millions de
                  gens en toute légalité.
                       Que la vie est atroce, vaine et sombre, comme ces scènes qui
                    passent en l’ivrogne
                       Comme « être » signifie « n’être pas », voir et sentir, entendre
                    et ressentir
                       Une goutte dans les marées sans bord de l’océan, gâchis
                      d’agonie insondable


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