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NEURONAISSANCE
                  peut‑ être issues toutes les traditions chamaniques des Amériques.
                  Elle s’initia par la consommation rituelle de certaines amanites, puis
                  essaya de retrouver des effets psychotropes dans  l’ingestion des nou‑
                  velles faunes et flores découvertes le long des voies de migration,
                  qu’il s’agisse du peyotl Lophophora williamsii (que les natifs connais‑
                  saient des millénaires avant sa classification sous ce nom en 1898)
                  ou de la « liane de rêve », à la base de la préparation de l’ayahuasca.
                  Cette expérience directe de psychotropes par les peuples natifs, qui
                  l’ont exercée dans un but précis (à l’opposé de la gratification égoïste
                  qui caractérise leur consommation « ésotouristique »), est un réel
                  facteur d’avancée de la recherche scientifique.

                  Science et conscience
                    Francis Bacon, que l’on cite pourtant comme l’un des pères de
                  la méthode scientifique moderne, recommandait l’usage de l’expé‑
                  rience pour déterminer la structure de l’Univers, et en particulier la
                  nôtre. Ce que nous avons largement oublié, c’est qu’il tenait la sub‑
                  jectivité en très haute estime, alors que les neurosciences modernes
                  ont un mépris quasiment viscéral à son égard. Ce mépris actuel,
                  heureusement, est nuancé par les excellents travaux de Francisco
                  Varela en « neurophénoménologie », qui consistent à utiliser le
                  ressenti d’un sujet pour expliquer ce qui se passe dans son cerveau
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                  et le corréler à des mesures externes . Varela et ses collaborateurs
                  utilisent donc des « données à la première personne », c’est‑ à‑ dire
                  subjectives, pour guider l’acquisition de « données à la deuxième
                  personne », que l’on appellera, par abus de langage, objectives, mais
                  qui ne sont jamais que des perspectives.
                    D’une manière générale, nous avons tendance à considérer que la
                  subjectivité ne nous permet pas d’acquérir la moindre connaissance
                  du cerveau. Et c’est normal, puisque le fonctionnement naturel de
                  notre cerveau n’est pas conscient. Si nous savons marcher, nous ne
                  savons pas naturellement décrire comment nous marchons. Si nous
                  savons danser, nous ne savons pas naturellement décrire comment
                  nous dansons. Nous savons respirer, parler, penser… mais nous


                    1.  Lutz, A., Lachaux, J.‑ P., Martinerie, J. et Varela, F.  J., « Guiding the study of
                  brain dynamics by using first‑ person data : Synchrony patterns correlate with ongoing
                  conscious states during a simple visual task », Proceedings of the National Academy of
                  Sciences (2002), 99, 1586‑1591.

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