Page 240 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 240
NEURONAISSANCE
pas être alarmiste en le signifiant ainsi, car le neurofascisme, en
l’occurrence, relève d’un phénomène historique pérenne : celui de
la prostitution scientifique. Souvenons‑ nous que les plus atroces
expériences biomédicales sur humains ont été pratiquées la plu‑
part du temps avec la complicité de médecins et de scientifiques
reconnus par leurs États et leurs pairs. Or, dit le proverbe soufi, « le
pire des sages est visiteur de princes, mais le meilleur des princes
est visiteur de sages », et c’est au pouvoir de s’incliner devant la
sagesse, pas l’inverse.
Il serait odieux de condamner une majorité pour les horreurs
d’une minorité, et la participation de certains scientifiques à des
actes inhumains ne signifie pas que tous les scientifiques en seraient
coupables. Mais s’il est sage de considérer qu’une minorité ne peut
accabler la réputation d’une majorité, et il est noble de considérer
qu’elle peut racheter cette dernière. Récemment, des révélations ont
été faites à propos de l’American Psychological Association (APA),
dont quelques membres reconnus ont participé aux programmes de
torture de la CIA. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’APA, qui compte
des centaines de milliers de membres, mais de rester vigilants, nous,
membres de la société civile, face à cette tendance par laquelle
nous cédons notre pouvoir, notre identité, notre libre arbitre à des
structures qui oublient parfois trop vite qui elles doivent servir.
C’est par conditionnement et même par une prédisposition com‑
portementale que nous soumettons notre cerveau à des autorités
dès l’enfance, sans plus cesser de le faire ensuite.
Le mythe d’une science inaccessible
La neuronaissance ne se réalisera que lorsque la société civile se
sera emparée des neurosciences et les aura assimilées elle‑ même, de
sorte qu’elle n’aura plus besoin d’aucune autorité hiérophantique
pour libérer son cerveau des systèmes qui se sont créés autour de
lui. Dans ce mouvement, quiconque prétend que les neurosciences
sont inaccessibles, quiconque veut leur donner l’apparence d’un
art hermétique réservé à une poignée d’initiés fait grand mal à ses
contemporains. Et le mal est d’autant plus grand que l’hermétisme
du sujet est sous‑ entendu : je préfère encore un chercheur qui
prend position ouvertement pour déclarer que la neuroscience est
affaire d’élite à un chercheur qui le pense tout bas. Car le premier
239
266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd 239 02/09/2016 14:39:04