Page 237 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 237
LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
ne savons pas comment nous réalisons ces actions. Nous ignorons
les mécanismes de notre jugement, de notre raisonnement, de nos
émotions, etc. La conscience de nos processus nerveux est une
conquête, un effort. Elle ne va pas de soi. Or, c’est la conscience
justement de cette conquête, la volonté farouche de la réaliser, qui
fonde la neuronaissance.
Le message essentiel de la sagesse dite « occidentale » (mais dont
cet Occident fantasmé n’a pas le monopole) est porté au fron‑
tispice du temple d’Apollon, à Delphes. Socrate en fit sa devise
philosophique : « Connais‑ toi toi‑ même et tu connaîtras l’Univers
et les Dieux. » Pour de nombreuses traditions spirituelles, la seule
connaissance de soi, sans Imagerie à Résonance Magnétique fonc‑
tionnelle, sans MagnétoEncéphaloGraphie, sans électrophysiologie,
sans optogénétique, est en effet considérée comme suffisante à la
connaissance de toutes choses. Mais le problème n’est pas là, car
il n’est pas question de faire rivaliser spiritualité et science : une
telle opposition serait puérile, car l’humain n’est pas tout de raison
et de science : il est fait de conscience, et la conscience est plus
vaste que la science. Opposer science et conscience, ou science et
spiritualité, c’est opposer des modules fondamentaux de notre être,
et susciter en nous une guerre civile dont nous ne sortirons jamais
gagnants. Opposer science et spiritualité reviendrait à opposer nos
deux mains, qui sont censées travailler ensemble. La neuronais‑
sance a évidemment besoin des neurosciences, mais elle sera faite,
aussi, de sagesse, de recul et d’humanité.
Idries Shah, qui eut une grande influence sur la prix Nobel de
littérature Doris Lessing et le brillant neuroscientifique de Stanford
Robert Ornstein, était convaincu de ce que la connaissance de soi
est nécessaire et suffisante à la connaissance de l’Univers. Il mili‑
tait cependant pour que les dernières découvertes de psychologie
expérimentale connaissent la plus large diffusion. « Pour l’amour
de l’humanité, qu’aimeriez‑ vous voir arriver aujourd’hui ? » lui
demandait la journaliste Elizabeth Hall dans une émission de radio
de 1975 sur le thème de « la psychologie aujourd’hui ». Sa réponse
est éloquente :
« Ce que je voudrais vraiment, au cas où quelqu’un écouterait, ce
serait que le produit des cinquante dernières années de recherche
236
266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd 236 02/09/2016 14:39:04