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COMMENT PAyER QUELQU’UN AVEC DU PAPIER BLANC…
                  appelait Edmund Husserl) se battent pour y accéder, dans un
                  bouillonnement incessant. Et la dynamique de ce combat, c’est
                  « winner takes all » : seul le noème gagnant semble avoir accès à
                  notre conscience. Or l’objet « gagnant » peut avoir été aidé par
                  notre attention, ou par une stimulation du monde extérieur. En
                  principe, si notre cerveau voulait se fermer entièrement à la sti‑
                  mulation extérieure, il le pourrait. C’est d’ailleurs ce qu’il réalise
                  sous anesthésie. Mais il n’est pas du tout impossible d’atteindre
                  les mêmes performances sous hypnose ou par une pratique assi‑
                  due de la méditation. Du point de vue neuroscientifique, cette
                  dernière n’est rien d’autre que le contrôle de notre vie mentale
                  spontanée.
                    Quiconque a essayé d’observer son propre cerveau en fonc‑
                  tionnement, ne serait‑ ce que par l’introspection, a déjà fait de
                  la neuro ergonomie. Les philosophes antiques, les chamanes, les
                  moines bouddhistes, les soufis et tant d’autres ont observé l’es‑
                  prit au travail. Une métaphore revient souvent dans leurs écrits :
                  l’esprit est comme une eau qui peut être agitée ou calme. Cette
                  métaphore, si simple et si belle, permet de comprendre les notions
                  d’activité spontanée et évoquée. Imaginons l’esprit comme la mer
                  et le message comme une onde. Sur une mer démontée, l’onde ne
                  laissera aucune trace ; sur une mer parfaitement calme, elle sera
                  parfaitement transmise. Autre idée, très présente dans le soufisme :
                  l’illusion répandue d’un esprit unifié dans l’enchaînement de ses
                  noèmes, d’un « courant de conscience », alors qu’il est le résultat
                  de forces contraires en compétition pour l’accès à la conscience.
                    Si l’introspection est irremplaçable pour faire avancer la
                  connaissance de l’esprit, notre vie mentale n’est pas naturelle‑
                  ment consciente, elle est même majoritairement inconsciente, car
                  la conscience est très coûteuse en énergie pour le fonctionnement
                  cérébral. La majorité de nos actions et de nos décisions doit être
                  inconsciente, automatique, et dépenser un minimum d’activité neu‑
                  ronale. Cela s’observe en imagerie : dans la conduite d’une voi‑
                  ture, la réponse neurovasculaire – soit la consommation d’oxygène
                  impliquée par la tâche – est plus grande chez le conducteur ama‑
                  teur que chez le conducteur chevronné. À tâche égale, le cerveau
                  de l’amateur consomme plus d’énergie que le cerveau de l’expert.
                  Si notre vie mentale nous était totalement consciente, il n’y aurait


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