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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
pas de neuroscientifiques car chacun saurait expliquer comment
fonctionne son cerveau. Je n’ai pas dit qu’une telle prouesse était
impossible, mais dans l’état très limité de nos sciences expérimen‑
tales, elle relève de la croyance.
Sachant que le cerveau d’un expert réalise la tâche sans même y
penser, il n’est pas surprenant que dans le tour de Derren Brown, le
bijoutier chevronné se laisse payer par des billets blancs alors que
le vendeur de hot‑ dogs, qui a moins d’heures de pratique que lui,
ne s’y laisse pas prendre. Les maîtres ès arts martiaux savent que
la marque de l’expert, c’est sa capacité à réaliser des mouvements
sans y prêter attention, et à s’ajuster à la posture adaptée sans y
réfléchir. Quelle que soit la discipline (sport, danse…), ce que le
maître possède en plus, c’est la capacité à verbaliser ce qu’il fait. Les
mouvements du corps et de l’esprit, dans leur immense majorité,
ne sont pas naturellement accessibles à notre langage. On sait faire
un nœud de cravate, monter à vélo ou nager, mais on ne sait pas
forcément l’écrire à quelqu’un.
D’autres exemples illustrent la manière dont le cerveau nous
cache son manque de conscience. La « cécité au changement », par
exemple, est très proche de la cécité d’inattention. Elle aussi a été
mise en vidéo d’après des pilotes réalisés par le psychologue Dan
Simmons, à Harvard, et est devenue depuis une source de plaisan‑
teries à faire en public. Le dispositif est le suivant : un étudiant se
tient derrière un comptoir, vers lequel est dirigé le sujet de l’expé‑
rience. L’étudiant du comptoir l’invite à remplir un formulaire,
puis, prétextant avoir fait tomber son stylo, se cache derrière le
comptoir et laisse un autre étudiant prendre sa place. Tant que les
deux étudiants derrière le comptoir ont plus ou moins la même
silhouette et la même odeur, un bon tiers des sujets de l’expérience
ne remarque pas consciemment la substitution.
Dans un autre dispositif, un étudiant demande à un sujet abordé
dans la rue de le prendre en photo dans une certaine pose, mais
entre‑ temps, deux autres personnes passent entre lui et le photo‑
graphe, en transportant un grand panneau de bois. Caché par le
panneau en mouvement, le premier poseur s’en va et il est rem‑
placé par une autre personne, dans la même pose. Une fois de
plus, dans un tiers des cas, la personne qui tient l’appareil photo,
trop concentrée sur le cadrage et la mise au point, ne remarque
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