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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  entre en conflit avec nos schémas de pensée, se produit la disso‑
                  nance cognitive, qui peut nuire à notre apprentissage ; et enfin,
                  dans le cas d’un stimulus sensoriel, la « cécité d’inattention » (inat-
                  tentional blindness).
                    Je n’ai pas de meilleur exemple de la cécité d’inattention que ces
                  vidéos YouTube qui ont déjà fait le tour du monde. Deux équipes
                  de basketteurs – l’une en gris, l’autre en blanc – se font des passes.
                  Le spectateur est invité à compter le nombre de passes que se fait
                  l’équipe blanche. À la fin de la vidéo, on lui donne le nombre exact
                  et on lui demande s’il a remarqué quelque chose d’étrange. Dans
                  l’une des vidéos, c’est un homme déguisé en gorille qui passe dans
                  le champ en se frappant le torse ; dans une autre, il est déguisé
                  en ours brun et traverse le champ en moonwalk. La majorité des
                  sujets ne remarquent pas consciemment le gorille ou l’ours brun
                  parce qu’ils sont trop absorbés par le décompte des passes. On peut
                  prouver que leur cerveau a bien vu quelque chose, mais la tâche
                  en cours bloque l’accès de cette information à leur conscience, qui
                  est un espace limité et qui a besoin de concentration pour réaliser
                  une tâche. Henri Bergson avait raison : « L’œil ne voit que ce que
                  l’esprit est préparé à comprendre. »
                    Des chercheurs comme Stanislas Dehaene et Jean‑ Pierre Chan‑
                  geux ont conçu, sur plus de vingt ans, un modèle informatique qui
                  rend compte de ce mécanisme et grâce auquel ils ont obtenu des
                  prédictions assez précises sur son timing et sa réplicabilité.
                    L’activité mentale en cours peut contrôler l’accès à la conscience.
                  Ce phénomène est connu des infirmières expérimentées. Si vous
                  devez pratiquer un examen douloureux sur un patient, de la prise
                  de sang à la ponction lombaire, vous pouvez détourner son atten‑
                  tion en lui posant une question de culture générale : quelle est
                  la capitale de la Mongolie ? Combien font 13 x 11 ? Citez‑ moi
                  deux vins piémontais ? Le sujet va chercher la réponse, et sa
                  conscience sera insensible à la douleur pendant une demi‑ seconde
                  environ. L’information de cette douleur aura bien été relevée,
                  notamment par les nocicepteurs de la peau, mais elle n’aura pas
                  accès à la conscience, dont l’attention limitée a été accaparée par
                  la tâche cognitive. La conscience semble être un véritable « espace
                  de travail » capable d’afficher une seule chose à la fois. Un grand
                  nombre d’objets de la vie mentale (ou « noèmes », comme les


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