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Rêve, Science et Religion
Marcel Otte
L’instrumentalisation de la science, ses impostures ou tricheries peuvent mener à
lÕintolrance des pires intgrismes. Quand certains scientiÞques se reposent sur les
certitudes, en oubliant de douter…
n matière religieuse, tout semble simple : on croit ou on ne croit vivre en être pensant (c’est-à-dire humain),
E pas : aucune justification n’est attendue là où la raison ne possède sans tomber dans l’angoisse perpétuelle,
aucune prise, tout est affaire personnelle, comme en amour, en arts ou en le chaos universel, la boucherie générale ?
musique. Un monde fait uniquement de croyants pourrait même être jugé (encore que certains moments dans l’histoire
meilleur à vivre que celui-ci puisque, dit-on, la sérénité qu’apporterait une n’en furent pas loin…) Qu’est-ce qui donne,
foi solide favorise chez celui qui la porte un état d’âme ouvert au bonheur et à nos sociétés désacralisées, les fondements
à l’espérance. Tout serait donc pour le mieux dans ce monde là, à la seule de l’éthique, l’illusion du bien être, l’espoir d’un
condition que chacun admette que l’autre croit à tout autre chose, voire à progrès ? Certes, un processus bien puissant
rien du tout. Utopie bien sûr puisque toute explication métaphysique de pour que d’immenses sociétés s’y laissent
la vie implique, pour y croire justement, qu’elle soit vraie, par conséquent, prendre à l’hameçon, en avalant l’appât, la
exclusive. Si le philosophe, accoudé au balcon, peut en tirer son parti en ligne et la perche tout à la fois ? On a bien vu
observant les croyants de tous poils s’entre-tuer, l’élastique lui reviendra les simplissimes expériences des extrêmes
dossier bientôt à la figure puisque cette pensée même qu’il utilise pour juger les (gauches ou droites) se casser lamentablement
autres fonctionne encore et toujours sur la conviction profonde qu’une la figure au cours du 20 siècle. On a vu encore
e
vérité « existe » : elle n’est pas divine, c’est entendu, mais elle se pose mieux (car de tout près) l’effondrement des
comme un cadre auquel sa réflexion s’accroche dès qu’elle cherche à idéologies capitalistes, du progrès sans fin,
se constituer. de la prospérité perpétuelle. Non, il nous faut
Ainsi vit-on des « nietzschéens » rirent de ceux qui ont remplacé la foi « croire » ! Alors, on envoit des hommes sur la
par la raison : le mécanisme reste identique, puisqu’il est de nature Lune, des sondes sur Mars, des engins aux
humaine dans tous les cas, seuls les termes changent et la vanité limites de l’Univers : on ne sait pas, mais on
grandit, puisque l’homme se met à la place des dieux, rien de moins… peut savoir, on va savoir, tel est le message
Tout ces culs-de-sacs spirituels emboîtés les uns aux autres ne seraient d’une métaphysique nouvelle, pas moins
encore rien si, en changeant les termes, on n’avait pas triché ! Quand dangereuse que les autres car les impatients
on parle de Bible, de Coran, de Torah, on voit ce que c’est, pas de risquent de décourager les autres, ceux qui
doute possible, il s’agit de textes sacrés auxquels certains d’entre nous n’attendent plus au Mur des Lamentations, ni
adhèrent, selon leur gré… Mais si on parle de Science, par exemple au retour du Messie, ni au Jugement Dernier,
pour remplacer l’ancien terme de Religion, on se laisse aller à un toute cette attente fut longue ! La déception
subterfuge : il ne s’agirait plus désormais de l’une ou de l’autre de ces est alors à la mesure des espoirs, c’est-à-dire
métaphysiques religieuses, tendancieuses et d’ailleurs historiquement immense, vitale, confondante même au-delà
marquées (les plus fins parlent de « contingentes ») mais à leur direct de la notion de vie ou de mort : se faire sauter
opposé de La Vérité, enfin reconnue ! Par quel « miracle » l’humanité se dans un avion devient un acte dérisoire, à cette
serait-elle soudain débarrassée de ses démons éternels ? mesure-là.
Pas de pensée sans religion ? Admettre les erreurs et reculs
Un préhistorien pourrait vous dire en effet qu’il n’y a jamais eu de pensée Mais que serions-nous prêts à faire pour
sans religion, que l’humanité est assoiffée de métaphysique dans sa sauver la Science ? Braver l’Inquisition comme
substance même, que l’avalanche continuelle, structurelle et logique Galilée ? Lui-même s’est rétracté, et pourtant
des réponses à ces questionnements universaux ont constitué la nature la terre tourne, encore aujourd’hui ! La défense
même de la pensée sur une perspective zoologique étalée sur plusieurs de la Science mérite-t-elle un tel sacrifice ?
millions d’années : pas d’homme sans religion, comme pas d’homme Après ces cascades d’évènements dans les
sans langage, pas de langage sans geste technique : à prendre ou à fois successives où toutes venaient combattre
laisser, l’humanité est ainsi faite, trop tard pour la changer ! la précédente avec la même dureté, n’avons-
Où donc se cachent les mécanismes obscures qui nous ont toujours nous pas glissé dans une nouvelle ère de
poussés à « croire » en quelque chose afin simplement de pouvoir certitudes diaboliques ? Considéré de l’intérieur
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