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des  Arts   et  des  hommes

               Revivre   la  Patrie   *

               La  Patrie   n'est   pas   un  lieu  geographique    ineluctable    defini   par  les  lois  de  la  nature   ou  par   les
               imperatifs    de  la  vie.  Elle  est  la  demeure   de  l'amour   premier,   la  demeure   de  l'enfance,     celle   du
               premier   bonheur.   La  Patrie   est  l'endroit   OLJ nos   ca;urs   se  refugient,   la  demeure   du  souvenir.   Quant   a


               l'amour   de  la  patrie   ou  le  tourment   amoureux,    il est  souvent   exacerbe   en  exil  ou  le  retour   de  la
               memoire   devient   plus   fort  que   la  fuite   dans   un  present  illusoire.   Ces   reflexions  n'auraient    jamais   ete
               concevables    avant   la  lecture   d'un  livre  paru   en  Arabe   dont   je  donne   ci-apres   de  courts   extraits   en
               Frangais   ; contredisant    ainsi   mon   principe   de  ne  jamais   traduire   de  la  litterature.   Mais   a  chaque   regle

               son   6clatante   exception.

               Je  n'ai   pas  l'habitude,    sauf  cataclysme,   de  traduire    de  la  litt6rature.    La   litt6rature    ne  se  traduit    pas.  La
               litt6rature    se  vit,   surtout   Ja  Po6sie.   Traduire    de la  po6sie   est  une   tentative   d'assassinat.   n  faut   Ja  dire,   en
               public,   dans   un   silence   impose.   La   dire   lui   restitue   toute   sa  splendeur,   dans   les  deux   langues:   la  source   et
               la  destination.    Un   voyage   aller  retour  dans  la  Beaut6.   Je  n'ai   pas  pu   r6sister A  extirper   ces  mots   d'un   livre
               6crit   en Arabe.   Un   texte   qui   m'a   explos6   k  la  flgure,   de  part   et  d'autre   dans   le  livre,   telle   une   kyrielle   de
               bombes   A  retardement    Ce  livre   parle   d'Alg6rie,    d'amour,    de  souffrance,    d'exil,   d'endroits,    de  solitude,   de
               mort   et  surtout   d'une   patrie   A  jamais   perdue.   Une   patrie   qui   vit   en  nous,   une  patrie   dont   gardons
               l'image   du   dernier  jour   avant   le  d6part.   Ce jour   restera   A  tout  jamais   le jour   du   souvenir   premier   :
                "    Je  veux   t'aimer   ici,  dans   une   demeure    telle   ton(corps,    congue   comme   une   maison   andalouse.    Je

               veux   fuir   avec   toi  ces   villes   construites    comme   des   bortes,  loger   ton   amour   dans   une   demeure    qui   te
               ressemble,    suivant   les   courbes   de  ta  f6minite   arabe.   Une   demeure    OLJ  se  cache   derriere   ses   arcs,   ses
               rondeurs   et  sesadessins    mon   souvenir    premier.   Une   maison   ou  le  jardin   sommeille    dans   ('ombre   d'un
               citronnier   giant,   un  citronnier   qui  ressemble    a  ceux   plant's   par  les  Arabes   dans   leurs   demeures
               andalouses.    Je   veux   m'asseoir    a  tes   cat's,   comme   je  reste   ici  devant   ce  petit   ruisseau   ou  nagent   des
               poissons   rouges,   t&  regarder,   surpris.   Je  sens   ton   corps   comme   je  respire   l'odeur   du  citron   mOri  avant
               terme.   Toi  mon   fruit   defendu.   Devant   chaque   arbre,   je  te  desire.

               Le  d6sir   est   une   simple   question   mentale.   Une   pratique   imaginaire,    tout   simplement.    One   illusion   qui
               nous   croons   dans   un  moment   de   folie   ou  nous   tombons    en  esclavage    devant   une   seule   personne    que
               nous   consid6rions    d'une   splendeur    absolue    pour   une   raison   obscure    voire   totalement    6trangire
               h  la  logique.   Ainsi   nait   un  d6sir   d'une   source   inconnue    qui   nous   ramene   a  un  autre   souvenir,    a  la
               senteur   d'un   autre   parfum,   a  un  autre   visage.   On  d6sir   fou  qui  naTt  dans   un  autre   endroit   a

               l'ext6rieur    du  corps.   II nart   de  la  m6moire    ou  peut-@tre   de  l'inconscient,    des   choses   myst6rieuses
               d'ou   tu  t'es   gliss6e   un  jour,   sur   la  pointe   des   pieds.   Te  voila   devenue    la  plus   splendide,    la  plus
               d6siree.   Te  voila   portant   toutes   les   femmes    en  toi.  "   "

                "   Extrait    du  Temps   perp6tuel    -  Alex   Caire   -  2009
               "   Extraits   de  "M6moire    du  Corps"   -  Ahlem   Mosteghanemi    -  Dar  At'  Adab   -  Beyrouth-1988    -  pages
               218   et  385.

               Alex   Caire,   poete,   critique    litt6raire














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