Page 228 - test
P. 228
LA PLAINE DE VIDE
Les printemps sur la plaine des Trois Corbeaux sont depuis
fort longtemps absents et la vigne de la terre du Haut s’en est
allée en des grappes mûres de ses coteaux ingrats et plantés
fièrement de courbes avantageuses.
Je suis resté seul après une vie de couple harmonieuse aux
nuages immaculés aux sourires vernaux… mais aux durs
travaux, l’échine rechigne à se courber plus avant si la
récompense est incertaine, le fruit de jouissance n’est pas au
rendez-vous au moment le plus désiré et se pose en chimère.
Ma tendre est partie, un matin comme tous les autres si ce
n’est que trois corbeaux étaient à la fenêtre ce jour-là. Était-ce
un signe ? J’ai pris mon balai de paille et frappé en une
chorégraphie immature sur ces oiseaux Manichéens…
Je vis seul comme un marin échoué sur une île déserte qu’il
s’est créée de toute pièce, de toute terre… infertile. Mais pas
de daurade au repas. Les pommes de terre au quotidien, ainsi
que d’autres tubercules et racineux. Je cultive mes heures de
rien, et râle sur ma terre, crache mon venin transmuté en bile
de remords et regrets.
Je n’attends plus rien, ni le jour, ni la nuit, ni même… Toi et
plante mon mât comme un pal dans mon entretien journalier
avec moi-même. Et suis salé de moi comme une morue dans un
chalutier congélateur et pourtant je me vois périr par le vent
de travers qui me plaque comme un pilier de Brive…
Je referme ma porte, une énième fois… une énième consolation
que tu sois absente pour ne pas subir l’humiliation de ton
regard, de ta voix… et tout cela me manque terriblement… Je
vais allumer ma lampe à pétrole, ouvrir le Livre… notre Livre
dont j’ai fait imprimé, relié les pages… blanches… toutes
blanches… et je le parcours et je mélange nos souvenirs et un
avenir… impossible.
Je pleure sur mon infini… néant, sur ma décrépitude morale et
mon oraison physique n’est pas loin…
Je prends ta main… invisible que je sers fortement dans la
mienne et j’entends ce craquement d’os entre les miens et je