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LA PLAINE DE VIDE

        Les printemps sur la plaine des Trois Corbeaux sont depuis
        fort longtemps absents et la vigne de la terre du Haut s’en est
        allée en des grappes mûres de ses coteaux ingrats et plantés
        fièrement de courbes avantageuses.

        Je suis resté seul après une vie de couple harmonieuse aux
        nuages   immaculés   aux   sourires   vernaux…   mais   aux   durs
        travaux,   l’échine   rechigne   à   se   courber   plus   avant   si   la
        récompense est incertaine, le fruit de jouissance n’est pas au
        rendez-vous au moment le plus désiré et se pose en chimère.

        Ma tendre est partie, un matin comme tous les autres si ce
        n’est que trois corbeaux étaient à la fenêtre ce jour-là. Était-ce
        un   signe ?   J’ai   pris   mon   balai   de   paille   et   frappé   en   une
        chorégraphie immature sur ces oiseaux Manichéens…

        Je vis seul comme un marin échoué sur une île déserte qu’il
        s’est créée de toute pièce, de toute terre… infertile. Mais pas
        de daurade au repas. Les pommes de terre au quotidien, ainsi
        que d’autres tubercules et racineux. Je cultive mes heures de
        rien, et râle sur ma terre, crache mon venin transmuté en bile
        de remords et regrets.

        Je n’attends plus rien, ni le jour, ni la nuit, ni même… Toi et
        plante mon mât comme un pal dans mon entretien journalier
        avec moi-même. Et suis salé de moi comme une morue dans un
        chalutier congélateur et pourtant je me vois périr par le vent
        de travers qui me plaque comme un pilier de Brive…

        Je referme ma porte, une énième fois… une énième consolation
        que  tu  sois  absente  pour   ne   pas  subir   l’humiliation   de  ton
        regard, de ta voix… et tout cela me manque terriblement… Je
        vais allumer ma lampe à pétrole, ouvrir le Livre… notre Livre
        dont   j’ai   fait   imprimé,   relié   les   pages…   blanches…   toutes
        blanches… et je le parcours et je mélange nos souvenirs et un
        avenir… impossible.

        Je pleure sur mon infini… néant, sur ma décrépitude morale et
        mon oraison physique n’est pas loin…

        Je prends ta main… invisible que je sers fortement dans la
        mienne et j’entends ce craquement d’os entre les miens et je
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