Page 59 - Correspondance coloniale
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C’est pénible, voire insoutenable.


            Toute ma vie s’est construite autour de vos critères de réussite.
            J’ai appris vos rois et votre histoire. Je me suis battu pour gravir

            vos échelons et être reconnu dans vos écoles. Je me suis battu
            pour  être  suffisamment  ressemblant  pour  être  accepté.  Pour

            travailler à vos côtés et construire votre pays. Je me suis battu

            pour être reconnu digne dans votre système.

            J’ai tout fait comme il fallait. Et sans cesse j’ai été blessé par

            votre rejet. Cependant je n’ai jamais pensé à m’en aller. Comme
            s’il n’y avait point de vie en dehors de votre monde.  Tel un

            enfant  en  quête  d’affection,  une  victime  en  quête  de

            reconnaissance, une bête en quête de soin. Je suis resté avec
            l’espoir  de  retrouver  dignité  dans  votre  regard,  là  où  je  l’ai

            perdue.

            J’ai attendu de vous que  vous me traitiez comme votre égal.

            Vous me l’aviez promis. Mais régulièrement vous me rappelez

            que  je  ne  suis  pas  vous.  C’est  étrange  à  quel  point  cela
            m’offusque. Je vois bien que ceux qui sont différents de moi ne

            sont pas moi et n’appartiennent pas à mon groupe. Mais je n’ai
            jamais compris que vous me perceviez différemment de vous,



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