Page 3 - Prologue
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était tombé désespérément amoureux de la fougue et de l’esprit de
               la jeune Américaine, venue chercher un bon parti à Londres.
                   La duchesse avait désiré ce qu’il y avait de mieux pour sa fille
               unique. Le sens des affaires coulait dans les veines d’Annabelle aussi
               naturellement que le  sang et elle avait transmis  ce don  à sa fille.
               Eleanor  était  donc  bien  consciente  qu’elle  avait  énormément  de
               chance  et  qu’elle  devait  beaucoup  à  sa  mère.  C’est  pourquoi  elle
               pénétra  dans  la  pièce  sans  relever  son  commentaire,  et  récupéra
               son assiette qu’elle remplit généreusement de tout un assortiment
               de victuailles avant de s’installer à table, face à la duchesse. Celle-ci
               jeta un coup d’œil sceptique à son assiette et haussa un sourcil.
               — Eleanor, tu vas devenir obèse à ce rythme-là.
                      La jeune fille leva les yeux au ciel.
               —  Maman,  je  n’ai  rien  mangé  depuis  hier  midi,  j’ai  une  faim  de
               loup.
                      La  duchesse  referma  le  journal  et  le  posa  sur  le  côté.  Elle
               agrippa sa tasse de café des deux mains et souffla sur le breuvage
               chaud.
               — Ne donne-t-on plus de repas digne de ce nom aux jeunes gens
               dans les bals de nos jours ?
                      Eleanor piqua vigoureusement dans sa saucisse et la coupa en
               tranches fines.
               —  Si bien sûr, mais nous étions trop excitées pour manger.
               — Pourquoi ? Ta tante Hedwige ne m’a rien dit de particulier.
                   Eleanor soupira. Sa tante Hedwige, âgée de soixante-et-un ans
               était son chaperon. Et à vrai dire, elle n’était pas des plus efficaces.
               Eleanor  avait  vite  compris  qu’un  simple  verre  de  champagne  lui
               donnait des somnolences.
               — Tante Hedwige n’est pas au courant de tout.
               — Comment cela ? J’espère que tu n’as pas fait de bêtise ! Tu sais
               bien  que  les  hommes  n'ont  pas  tous  des  pensées  pures  et
               innocentes ! Surtout lorsqu'il s'agit de jeunes débutantes.
               —  Bien  sûr  que  je  le  sais !  Vous  me  l’avez  assez  répété  pendant
               toutes  ces  années.  Non,  c’est  simplement  que  Lord  Penbroth  a
               laissé entendre qu’il allait demander ma main à Papa.
                      La  duchesse  reposa  lourdement  sa  tasse  sur  sa  soucoupe  qui
               émit un cliquetis de protestation :
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